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jeune fille se hâter de gagner la porte. Songez encore une fois à votre position et à l’occasion qui se présente à vous d’en sortir. Vous avez droit à toutes mes sympathies, non-seulement parce que vous êtes venue de vous-même me faire cette confidence, mais encore parce que vous êtes une femme presque irrévocablement perdue. Voulez-vous rejoindre cette bande de voleurs, et surtout cet homme, quand un mot, un seul mot peut vous sauver ? Quel est donc le charme irrésistible qui vous attire dans cette société-là pour vous attacher à une vie d’opprobre et de misère ? Quoi ! je ne trouverai pas dans votre cœur la moindre fibre sensible ! Je ne trouverai rien qui puisse vous arracher à cette terrible fascination !

— Quand de jeunes demoiselles aussi belles, aussi bonnes que vous, donnent leur cœur, reprit avec fermeté Nancy, l’amour peut les entraîner loin. Oui, il peut vous entraîner vous-même, qui avez une demeure, des amis, des admirateurs, tout ce qui peut séduire. Quand des femmes comme moi, qui n’ont d’autre asile assuré qu’un cercueil, d’autre ami dans la maladie ou la mort que les servantes d’un hospice ; quand ces femmes-là ont livré leur cœur impur à un homme ; que cet homme leur tient lieu de parents, de demeure, d’amis ; que cet amour a jeté une lueur sur leur misérable existence, qui peut espérer les guérir ? Plaignez-nous, mademoiselle… plaignez-nous d’être encore femmes par ce sentiment ; plaignez-nous, car un arrêt terrible a changé en tourments et en souffrances ce qui devait faire notre consolation et notre orgueil.

— Voyons, dit Rose après un moment de silence, vous accepterez toujours bien quelque peu d’argent qui puisse vous permettre de vivre honnêtement… au moins jusqu’à ce que nous nous revoyions ?

— Non, pas un penny, répliqua la jeune fille en lui disant adieu de la main.

— Ne repoussez pas ce que je veux faire pour vous secourir, dit Rose avec un geste bienveillant. Je voudrais vous être utile.

— La meilleure manière de m’être utile, dit Nancy en se tordant les mains, serait de m’arracher la vie d’un seul coup. J’ai, ce soir, senti plus cruellement que jamais toute mon infamie, et ce serait déjà quelque chose que de ne pas mourir dans le même enfer où j’ai passé ma vie. Que le ciel vous bénisse, bonne demoiselle, et vous envoie autant de bonheur que je me suis attiré de honte ! »