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peut-être d’être restée immobile à cette place pendant si longtemps. Allons, voyons ! que je m’en aille : ça n’est pas dommage. »

Le juif lui compta la somme, en poussant un soupir à chaque pièce d’argent qu’il lui mettait dans la main, et ils se séparèrent après avoir échangé le bonsoir.

Quand Nancy fut dans la rue, elle s’assit sur le pas d’une porte et parut pendant quelques instants complètement égarée et incapable de poursuivre sa route. Tout à coup elle se leva, et, s’élançant dans une direction tout opposée à celle du logement de Sikes, elle hâta le pas et finit par courir à toutes jambes ; épuisée de fatigue, elle s’arrêta pour reprendre haleine ; puis, comme si elle rentrait tout à coup en elle-même et déplorait l’impuissance où elle était de faire quelque chose qui la préoccupait, elle se tordit les mains et fondit en larmes.

Les larmes la soulagèrent peut-être, ou bien elle se résigna en sentant combien sa situation était désespérée ; elle revint sur ses pas, se mit à courir presque aussi vite dans la direction opposée, soit pour rattraper le temps perdu, soit pour faire trêve aux pensées qui l’obsédaient, et atteignit bientôt la demeure où le brigand l’attendait.

Si son extérieur trahissait quelque agitation, M. Sikes n’en fit pas la remarque en la voyant ; il lui demanda seulement si elle avait rapporté l’argent, et, sur sa réponse affirmative, il poussa un certain grognement de satisfaction, laissa tomber sa tête sur l’oreiller et continua son somme, que l’arrivée de Nancy avait interrompu.

Heureusement pour elle, Sikes, une fois en possession de l’argent, employa toute la journée du lendemain à boire et à manger, ce qui contribua singulièrement à lui adoucir le caractère ; aussi n’eut-il ni le temps ni l’envie de faire la moindre remarque sur le trouble et la distraction de sa compagne. Nancy, pourtant, avait l’air inquiet et agité d’une personne qui va risquer un de ces coups hardis et périlleux auxquels on ne se résout qu’après une lutte violente. Le juif, avec son œil de lynx, aurait facilement reconnu ces symptômes et s’en serait alarmé ; mais Sikes n’était pas un finaud comme lui, et il ne montra d’autres soupçons que ceux qui tenaient à sa rude et grossière méfiance avec tout le monde. Il était d’ailleurs, contre son ordinaire, de bonne humeur ce jour-là, comme nous l’avons dit : il ne vit donc rien de singulier dans ses manières et