Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mort et à l’abri de tous les maux… Pourvu toutefois qu’il n’arrive rien à Guillaume ! Mais puisque Tobie s’en est tiré, il est assez probable qu’il a échappé aussi : car il en vaut bien deux comme Tobie.

— Et pour ce que je vous disais, ma chère ?… demanda le juif, en fixant sur la jeune fille un œil scrutateur.

— Il faudra me le répéter, si c’est quelque chose que vous voulez que je fasse, répondit Nancy ; et encore, dans ce cas, vous feriez mieux d’attendre à demain : vous m’avez réveillée un instant, mais je sens que je redeviens stupide. »

Fagin lui fit encore plusieurs questions pour s’assurer qu’elle n’avait pas fait son profit de ses imprudentes insinuations ; mais elle y répondit si naturellement, et resta si impassible sous les regards investigateurs du juif, que celui-ci fut pleinement affermi dans l’opinion qu’il avait eue dès l’abord, que la jeune fille avait abusé des spiritueux. En effet, Nancy n’était pas exempte d’un défaut très commun chez les élèves du juif, et auquel, dès l’enfance, on les poussait plus qu’on ne les en détournait. Le désordre de sa tenue, et une forte odeur de genièvre répandue dans la chambre, venaient à l’appui de cette supposition ; et quand, après un instant d’énergie, elle fut retombée dans sa torpeur, tantôt versant des larmes, tantôt s’écriant : « Enfin, il ne faut jamais désespérer ! » en proférant des paroles incohérentes, M. Fagin, qui avait beaucoup d’expérience dans ces matières, vit, à sa grande satisfaction, qu’elle était à cent lieues de ce qu’il avait craint.

Rassuré par cette découverte et ayant atteint le double but qu’il se proposait, d’informer la jeune fille des nouvelles qu’il venait d’apprendre et de s’assurer de ses propres yeux que Sikes n’était pas de retour, M. Fagin reprit le chemin de sa demeure, laissant Nancy assoupie, la tête appuyée sur la table.

Il était environ une heure du matin ; la nuit était sombre, le froid piquant ; rien n’invitait le juif à s’amuser en route : la bise, qui desséchait les rues, semblait en avoir balayé les passants aussi bien que la poussière et la boue ; il n’y avait presque personne dehors, et le peu de gens attardés dans les rues regagnaient en hâte leur logis ; le vent soufflait précisément dans la figure du juif, qui s’en allait fendant l’air en tremblant et grelottant à chaque nouveau coup de vent.

Arrivé au coin de la rue qu’il habitait, il fouillait déjà dans sa poche pour en tirer la clef de sa maison, quand un individu