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bon feu, et se mit à considérer avec complaisance une petite table ronde sur laquelle était posé un plateau garni de tous les objets nécessaires à la plus agréable collation que puisse faire une matrone. En effet, Mme Corney était sur le point de se réconforter avec une tasse de thé ; elle regardait la table, puis le foyer où l’eau chantait doucement dans une petite bouilloire, et elle prenait de plus en plus un air satisfait ; elle en vint, en vérité, jusqu’à sourire à ce spectacle.

« Vraiment, dit-elle en posant son coude sur la table, il n’est personne ici-bas qui n’ait à bénir la Providence, si on voulait seulement songer aux dons qu’elle nous fait. Hélas ! »

Mme Corney hocha la tête d’un air pensif, comme si elle déplorait l’aveuglement des pauvres qui méconnaissaient ces dons ; puis introduisant une cuiller d’argent (qui lui appartenait en propre) dans une petite boîte à thé, elle continua ses préparatifs.

Qu’il faut peu de chose pour troubler la sérénité de notre âme ! La bouilloire, étant fort petite et bientôt remplie, déborda tandis que Mme Corney se livrait à ses réflexions morales, et quelques gouttes d’eau chaude tombèrent sur la main de la matrone.

« Peste soit de la bouilloire ! dit-elle en la posant bien vite sur la cheminée. Quelle sotte invention que ces bouilloires qui ne contiennent qu’une ou deux tasses ! À qui peuvent-elles servir, sinon à une pauvre créature délaissée comme moi, hélas ! »

À ces mots, la matrone se laissa tomber dans son fauteuil, remit son coude sur la table, et songea à son existence solitaire. La petite bouilloire à une tasse avait réveillé en elle le souvenir de feu M. Corney, qu’elle avait enterré vingt-cinq ans auparavant, et elle tomba dans une profonde mélancolie.

« Je n’en aurai jamais d’autre ! dit-elle d’un ton rechigné ; je n’en aurai jamais… de semblable. »

On ne saurait dire si l’exclamation de Mme Corney s’adressait à son mari ou à sa bouilloire ; peut-être était-ce à cette dernière, car elle la regarda au même instant et la mit sur la table. Comme elle approchait la tasse de ses lèvres, on frappa doucement à la porte.

« Entrez ! dit-elle avec humeur ; c’est encore quelque vieille femme qui meurt, je suppose : elles meurent toujours quand je suis à table ; entrez vite et fermez la porte, que le froid ne pénètre pas dans la chambre. Eh bien, qu’est-ce ?