Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

on entend un coup de sifflet, et nous voilà transportés tout d’un coup dans la grande salle d’un château, où un vieux sénéchal, à la chevelure grise, chante un air joyeux. Ses vassaux font chorus avec lui ; ils n’ont pas autre chose à faire, et s’en vont tous de compagnie, toujours joyeux, toujours chantant.

Ces changements de scène nous paraissent ridicules ; ils ne sont pourtant pas aussi invraisemblables que nous pourrions le croire au premier abord. La vie n’offre-t-elle pas sans cesse des contrastes de ce genre, ici des fêtes et là un lit de mort ; tantôt le deuil et la tristesse, et tantôt la joie et le plaisir. Mais alors nous sommes nous-mêmes acteurs, au lieu d’être témoins passifs des événements, et cela fait une grande différence. Ces transitions brusques, ces élans subits de colère ou de douleur, qui ne nous étonnent point sur la scène du monde, nous semblent ridicules et déplacés, dès que nous sommes réduits au rôle de simples spectateurs.

Les soudains changements de scène, de temps et de lieu, ne sont pas seulement sanctionnés dans les livres par un long usage ; ils sont encore considérés par beaucoup de gens comme étant le grand art de la composition. Il y a même certains critiques qui n’estiment le talent d’un auteur qu’en raison des difficultés qu’il amoncelle autour de ses personnages à la fin de chaque chapitre. Ce court préambule paraîtra peut-être inutile. En tout cas, on doit y voir de la part de l’historien une manière délicate de prévenir ses lecteurs qu’il va les ramener à la ville natale d’Olivier, et qu’il a de bonnes raisons de leur faire faire ce voyage.

Un matin, de très bonne heure, M. Bumble sortit, la tête haute, du dépôt de mendicité, et se mit à monter la grande rue d’un pas majestueux. Il était dans l’éclat et la splendeur de sa dignité de bedeau. Les rayons du soleil levant se jouaient sur son tricorne et sur son habit, et il tenait sa canne de l’air résolu que donnent la santé et la puissance. M. Bumble avait toujours la tête haute, mais ce jour-là plus haute encore que d’habitude. Il y avait dans son regard quelque chose de profond, et dans sa démarche une fierté qui annonçait que de graves réflexions, trop importantes pour être communiquées à personne, traversaient sa cervelle de bedeau.

M. Bumble ne s’arrêta pas en route à causer avec les petits marchands ou autres qui lui adressaient respectueusement la parole ; à peine répondait-il à leurs saluts par un geste rapide.