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Le chien entendait fort bien, car M. Sikes criait comme un sourd ; mais il ne semblait pas du tout résigné à se laisser couper le cou ; il resta où il était, grondant plus fort qu’auparavant et saisissant dans ses dents l’extrémité des pincettes, qu’il mordit avec rage.

Cette résistance ne fit qu’accroître la colère de M. Sikes. Il se mit à genoux et commença à attaquer le chien avec fureur. L’animal sautait de côté et d’autre, jappant, grondant, aboyant. L’homme jurait, frappait, blasphémait ; la lutte allait devenir critique pour l’un ou l’autre des combattants, quand la porte s’ouvrit tout à coup, et le chien ne fit qu’un bond dehors, laissant Guillaume Sikes avec son couteau et ses pincettes à la main.

Pour se quereller, il faut être deux, dit un vieux proverbe. M. Sikes, désappointé de la fuite du chien, fit tomber sa colère sur le nouveau venu.

« Pourquoi diable venez-vous vous mettre entre mon chien et moi ? demanda-t-il avec un geste menaçant.

— Je ne savais pas, mon ami, je ne savais pas, » répondit Fagin d’une voix humble.

C’était en effet le juif qui venait d’entrer.

« Vous ne saviez pas, vieux brigand ! s’écria Sikes. Vous n’entendiez donc pas le vacarme ?

— Pas le moins du monde, aussi vrai que je suis en vie, répondit le juif.

— C’est vrai, vous n’entendez rien, répliqua Sikes avec un rire menaçant. Vous vous faufilez partout, sans qu’on vous entende entrer ni sortir. J’aurais voulu, Fagin, que vous fussiez à la place de mon chien, il y a une minute.

— Pourquoi donc ? demanda le juif avec un sourire forcé.

— Parce que le gouvernement, qui protège la vie d’êtres tels que vous, qui ont moins de cœur qu’un roquet, laisse un homme tuer son chien à sa fantaisie, répondit Sikes en fermant son couteau d’une manière très expressive. Voilà pourquoi. »

Le juif se frotta les mains et, s’asseyant devant la table, affecta de rire de la plaisanterie de son ami ; néanmoins, il était visiblement mal à son aise.

« Allez rire ailleurs, dit Sikes en remettant les pincettes en place et en toisant le juif avec dédain ; allez rire ailleurs, mais ne vous avisez pas de me rire au nez, voyez-vous, fût-ce derrière votre bonnet de coton. C’est moi qui vous tiens, Fagin,