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« Ils buvaient, tous les soirs, le vin du Rhin, et, même quand ils tombaient sous la table, ils gardaient près d’eux leurs bouteilles et demandaient leurs pipes. Jamais on n’a vu de jolis lurons, pour faire du tapage, des farces et des folies, comme la bande joviale de Grogzwig.

« Mais les plaisirs de la table, ou, si l’on veut, les plaisirs sous la table, demandent un peu de variété, surtout quand on est réuni tous les jours à souper, toujours vingt-cinq, toujours les mêmes, à discuter les mêmes questions, à raconter les mêmes histoires. Le baron s’ennuyait donc et sentait le besoin de quelque émotion nouvelle. Il se mit à quereller ses gentilshommes, et, pour se distraire, à en mettre tous les jours après dîner deux ou trois à la porte à coups de pied dans les reins. Il goûta d’abord quelque plaisir à ce divertissement ; mais il le trouva fade et monotone au bout de quelques semaines, et finalement, poussé à bout, il se creusa la tête pour inventer quelque amusement nouveau.

« Un soir, après une journée de chasse où il avait surpassé Nemrod ou Gérard, après avoir massacré un bel ours de plus et l’avoir rapporté en triomphe au château, le baron de Koëldwethout s’assit d’un air maussade au haut bout de la table, les yeux fixés sur le plafond fumeux de la salle avec un mécontentement visible. Il avala force rasades ; mais, plus il en avalait, plus il devenait grognon. Les gentilshommes qui, par une dangereuse préférence, étaient honorés de son voisinage à sa droite et à sa gauche, imitaient à ravir ses nombreuses rasades et son air rechigné.

« Je vais, s’écria tout à coup le baron, frappant du poing sur la table, et, de l’autre main, se frisant la moustache, boire à la santé de la baronne de Grogzwig ! »

« Les vingt-quatre convives vert pomme devinrent tout pâles, à l’exception de leurs vingt-quatre nez, qui ne changeaient jamais de couleur.

« J’ai dit à la santé de la baronne de Grogzwig, répéta le baron, promenant ses regards à la ronde sur ses pensionnaires.

« À la santé de la baronne de Grogzwig ! » crièrent en chœur les vert pomme ; et leurs vingt-quatre gosiers absorbèrent vingt-quatre pintes impériales d’un bon vieux tokay si délicieux, qu’ils en léchèrent leurs quarante-huit lèvres en clignant de l’œil.

« La belle fille du baron de Swillenhausen ! dit Koëldwethout, qui voulut bien expliquer son toast. Nous allons la de-