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— Faut-il bien du temps pour attraper un nez ? demanda Nicolas en souriant.

— Dame, cela dépend en grande partie du genre que l’on demande, répondit miss la Creevy. Des nez bossus, des nez romains, il n’en manque pas ; quant aux nez camards, vous n’avez qu’à aller à Exeter-Hall un jour de meeting, et vous en trouverez de toutes les sortes et de toutes les dimensions ; mais un nez parfaitement aquilin, je suis fâchée de vous le dire, c’est chose rare, et nous les réservons généralement pour les militaires et les magistrats.

— Ah ! vraiment ! dit Nicolas ; si j’en trouve un dans mes voyages, je tâcherai de le croquer pour vous.

— Qu’est-ce que vous parlez de voyage ? Il n’est pas possible, n’est-ce pas, que vous songiez sérieusement à vous exiler en Yorkshire pendant cette froide saison d’hiver, comme je l’entendais dire hier au soir, monsieur Nickleby ?

— Pardonnez-moi. Vous savez qu’il faut aller où l’on vous mène : eh bien, c’est la nécessité qui me mène, et je la suis.

— Vraiment ? Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’en suis fâchée, dit miss la Creevy, autant pour votre mère et votre sœur que pour vous. Votre sœur est très jolie, monsieur Nickleby, et c’est une raison de plus pour qu’elle ait besoin de quelqu’un qui la protège. Je l’ai priée de me donner une ou deux séances pour mon cadre de dehors. Ah ! quelle charmante miniature cela fera ! » Et en parlant ainsi, miss la Creevy prenait un portrait sur ivoire nuancé de petites veines bleu céleste, et le regardait avec tant de complaisance, que Nicolas semblait lui porter envie.

« Si vous avez jamais l’occasion de montrer un peu de tendresse à Catherine, dit Nicolas en lui présentant la main, j’espère qu’elle peut compter sur vous.

— Comptez-y, dit l’artiste en miniature du fond du cœur, et que Dieu vous conduise, monsieur Nickleby ! je vous souhaite tout bonheur. »

Nicolas n’avait guère appris encore à connaître le monde, mais il devina, sans le savoir, que, s’il donnait à miss la Creevy un petit baiser, la bonne dame n’en serait peut-être que mieux disposée pour celles qu’il allait laisser derrière lui. Il lui en donna donc trois ou quatre, par forme d’aimable galanterie, et miss la Creevy ne s’en montra pas autrement fâchée, si ce n’est qu’en rajustant son turban jaune elle déclarait que jamais elle n’avait entendu dire pareille chose, et que d’ailleurs elle ne l’aurait jamais cru possible.