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— C’est ma foi vrai, répliqua l’autre. Ha ! ha ! ha ! la pauvre diablesse ! »

Les deux voix jumelles qui n’allaient jamais l’une sans l’autre se mirent à rire à leur tour, comme tout le monde, aux dépens de Mme Nickleby. La rage brûlait les joues de Nicolas ; mais il put se maîtriser pour le moment : il voulait en entendre davantage.

Ce qu’il entendit n’a pas besoin d’être répété ici. Il suffit de savoir qu’à mesure que le flacon de vin circulait à la ronde, il en entendit assez pour bien connaître les sentiments et les plans de ceux dont il écoutait la conversation ; assez pour le mettre au fait de toutes les viles pratiques de Ralph, pour lui révéler la véritable raison qui réclamait sa présence à Londres. Bien plus, il entendit tourner en dérision les souffrances de sa sœur, railler et calomnier brutalement sa vertu. Il entendit son nom passer de bouche en bouche pour donner lieu aux paris les plus grossiers et les plus insolents, aux paroles les plus libres, aux plaisanteries les plus licencieuses. L’homme qui avait pris le premier la parole donnait le ton à la conversation, ou plutôt il n’y avait à parler que pour lui ; les autres se contentaient de le stimuler de temps en temps par quelques observations sans importance.

C’est donc à lui que s’adressa Nicolas, quand il se sentit assez remis pour se présenter devant leur société, et donner un libre cours aux paroles enflammées de colère qui lui brûlaient la gorge.

« Je voudrais vous dire un mot, monsieur, dit Nicolas.

— À moi, monsieur ? repartit sir Mulberry Hawk en le toisant de la tête aux pieds, avec une expression de surprise et de dédain.

— Je vous ai dit que c’était à vous, répliqua Nicolas d’une voix embarrassée, car il étouffait de colère.

— Voilà un mystérieux étranger, ma parole d’honneur ! s’écria sir Mulberry en portant son verre à ses lèvres et regardant ses amis l’un après l’autre.

— Voulez-vous, oui ou non, venir échanger à part quelques mots avec moi ? » dit Nicolas rudement.

Sir Mulberry abaissa un moment son verre en lui disant de décliner son nom et d’expliquer ce qu’il voulait, ou de le laisser tranquille.

Nicolas tira une carte de sa poche et la lui jeta devant lui.

« Voilà, monsieur ! dit Nicolas, mon nom vous fera deviner le reste. »