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ter l’effet, il se mit, en dépit de la répugnance de l’autre pour être le héros de cette mise en scène, à lui infliger coup sur coup de ces embrassades dramatiques dont voici la règle : l’embrasseur se pose le menton sur l’épaule de l’embrassé et ils regardent, comme Janus, chacun de leur côté. M. Crummles appliqua la règle dans toute sa pureté, fidèle au grand style du mélodrame, répandant en même temps avec profusion les formules d’adieu les plus attendrissantes qu’il pût trouver dans son répertoire. Mais ce n’était pas tout : maître Crummles, le fils aîné, faisait la même cérémonie avec Smike, et maître Percy Crummles, le fils cadet, vêtu d’un très petit manteau d’occasion en camelot, jeté tragiquement par-dessus l’épaule, se tenait près de là, debout, dans l’attitude d’un satellite du tyran attendant Oreste et Pylade pour les conduire à l’échafaud.

Les spectateurs en riaient de bon cœur ; et Nicolas, voyant que c’était encore le meilleur parti à prendre, en fit autant de son côté, aussitôt qu’il fut parvenu à se dégager ; puis, allant au secours de Smike, fort étonné de tout ceci, il grimpa derrière lui sur l’impériale, et de là envoya de la main un baiser en l’honneur de Mme Crummles absente. La voiture roulait déjà.


CHAPITRE XXXI.

De Ralph Nickleby et de Newman Noggs, ainsi que de quelques précautions sages dont on verra plus tard le bon ou le mauvais succès.

Ce matin-là même, dans une heureuse ignorance du parti qu’avait pris son neveu, et ne se doutant guère que Nicolas avançait au grand trot de quatre bons chevaux vers la sphère d’activité dans laquelle il se mouvait lui-même, de sorte que chaque minute qui s’écoulait les rapprochait l’un de l’autre, Ralph Nickleby était à son bureau occupé de ses affaires comme toujours, et cependant, malgré lui, distrait de temps en temps par le souvenir de son entrevue de la veille avec Catherine, sa nièce. Chaque fois qu’il venait d’y penser, il chassait ces idées importunes en marmottant quelque interjection maussade, puis se remettait avec une nouvelle ardeur à méditer sur son grand livre ; mais, en dépit de tous ses efforts, son esprit suivait un autre cours, et toujours, toujours la même pensée venait le