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— Oui, ce n’est que cela : surtout pas de mauvaise plaisanterie ! » crièrent toutes les dames à la fois.

Mais ce n’était pas là exactement le genre de réponse auquel un homme de l’importance de M. Snevellicci sentait qu’il avait droit, et comme homme et comme père. Il se mit donc à entreprendre l’infortunée Mme Snevellicci, et à lui demander ce que diable elle voulait dire avec toutes ces énigmes.

« Au nom du ciel, mon cher… dit Mme Snevellicci.

— Je vous prie de ne pas m’appeler votre cher, madame, dit M. Snevellicci, s’il vous plaît.

— Papa, je vous en prie, finissez, dit Mlle Snevellicci s’interposant entre eux.

— Finir quoi, ma fille ?

— De parler comme cela.

— De parler comme cela ? reprit M. Snevellicci ; j’espère que vous ne supposez pas qu’il y ait ici personne qui puisse m’empêcher de parler comme je veux.

— Personne n’y pense, papa.

— Mais quand ils y penseraient, qui donc m’en empêcherait ? Je n’ai pas à me cacher, moi. Je m’appelle Snevellicci, on me trouve à Board-Court, rue de l’Arc, quand je suis à Londres, et quand je n’y suis pas, on n’a qu’à m’aller demander à la porte du théâtre. Je vous réponds qu’on m’y connaît, à la porte du théâtre ; il y a bien des gens qui ont vu mon portrait chez le marchand de cigares du coin. Ce n’est pas d’aujourd’hui non plus que mon nom a été imprimé dans le journal, n’est-ce pas ? Ne pas parler comme cela ! tenez, je vais vous dire : si je venais à savoir qu’un homme se fût permis de plaisanter avec les sentiments de ma fille, je ne parlerais pas ; je n’aurais pas besoin de parler pour le confondre. C’est comme cela que je suis, moi. »

Et M. Snevellicci, finissant le reste avec des gestes, donnait trois bons coups de son poing droit dans la paume de sa main gauche, dessinait en l’air un nez imaginaire, qu’il tirait entre son pouce et son index, en le pinçant bien fort, et puis il avalait d’un trait un autre verre de liquide, en répétant : « Voilà comme je suis, moi. »

Il faut dire que les hommes publics ont leurs défauts comme tous les autres ; il n’est donc pas extraordinaire que celui de M. Snevellicci fût d’être un peu adonné à la boisson. Tenez, soyons francs : il n’était presque jamais à jeun. Seulement il reconnaissait trois degrés distincts dans le progrès de l’ivresse : l’ivresse majestueuse, l’ivresse querelleuse, l’ivresse amoureuse ;