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« Ah ! vraiment.

— Oui, dit M. Folair, toujours avec le même calme ; voilà ce qu’on dit ; j’ai pensé que vous seriez bien aise de le savoir, c’est pour cela que je vous en ai parlé. Oh ! bénédiction ! voici enfin le phénomène, mon boulet, ma croix. Ah ! que je voudrais te voir… Me voilà prêt, ma mignonne… imbécile… Vous pouvez sonner, madame Grudden. »

Ces formes de compliments si diverses n’étaient pas non plus prononcées du même ton. Il disait tout haut : ma mignonne, pour flatter la crédule enfant ; mais sa croix et son boulet faisaient partie d’un aparté dans lequel était compris Nicolas. M. Folair suivit des yeux le lever de la toile, regarda avec un rire moqueur la réception faite à Mlle Crummles, la vierge du ballet, et reculant d’une semelle ou deux pour s’avancer sur la scène de manière à produire plus d’effet, il poussa d’abord un hurlement préliminaire, puis il se mit à grincer des dents et à brandir son tomahawk de fer-blanc, en sa qualité de sauvage indien.

« Voilà un échantillon des sottes histoires qu’ils inventent sur notre compte et qu’ils font après circuler de bouche en bouche, se disait Nicolas. Qu’un homme vienne à commettre un horrible attentat contre la société dont il est membre, petit ou grand, il n’a qu’à réussir, son crime sera bien vite oublié ; mais, par exemple, on ne lui pardonnera jamais son succès.

— J’espère que vous ne faites pas attention à ce que dit cette mauvaise langue, monsieur Johnson, insinua Mlle Snevellicci de sa voix la plus douce et la plus séduisante.

— Qui ? moi ! répondit Nicolas ; si j’étais pour rester ici, je me donnerais peut-être la peine de démêler cette intrigue, mais, dans ma situation, ils peuvent bien s’enrouer à parler tant qu’ils voudront, ce n’est pas moi qui les empêcherait. Mais voici, ajouta-t-il en voyant approcher Smike, une des victimes de leurs mauvais propos. Nous allons vous souhaiter ensemble le bonsoir.

— Pas du tout, ni l’un ni l’autre vous ne me quitterez comme cela ; il faut que vous veniez chez nous voir maman, qui ne fait que d’arriver à Portsmouth aujourd’hui, et qui se meurt d’envie de vous voir. Ledrook, ma chère, je vous charge de persuader M. Johnson.

— Voilà qui est bon, répondit Mlle Ledrook avec une extrême vivacité, si vous-même vous ne l’avez pas persuadé… »

Miss Ledrook n’en dit pas davantage, mais ses rires folâtres disaient assez pour elle que, si miss Snevellicci ne réussissait pas à le persuader, c’est que personne ne pourrait le faire.