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— Non, dit Ralph se retournant aussitôt ; du moins, en supposant cela vrai, ce mot, je ne peux pas le dire.

— Vous ne pouvez pas le dire ?

— Non, » dit Ralph s’arrêtant tout court et serrant convulsivement ses mains derrière le dos, je ne puis pas le dire.

Catherine recula un pas ou deux et regarda comme si elle doutait qu’elle eût bien entendu.

« Nous sommes liés d’affaires, dit Ralph se balançant alternativement sur les talons et sur la pointe des pieds et regardant froidement sa nièce en face : liés d’affaires, et il faut que je le ménage. D’ailleurs, de quoi vous plaignez-vous, après tout ? Qu’est-ce qui n’a pas ses chagrins ? Eh bien ! vous avez les vôtres. Et encore, combien de filles seraient fières d’avoir de tels galants à leurs pieds !

— Fières ! cria Catherine.

— Je ne dis pas, répliqua Ralph en levant l’index, que vous n’ayez pas raison de mépriser leur exemple. Non, vous faites en cela preuve de bon sens, et je vous connaissais assez pour y avoir compté tout d’abord. Mais voyons ; sous tous les autres rapports, vous n’êtes pas si malheureuse, ce n’est pas la mer à boire. Si ce jeune lord vous suit à la piste comme un chien pour fatiguer vos oreilles de son radotage insensé, après ? C’est une passion contraire à l’honneur, je le veux bien, mais elle ne durera pas longtemps. Un de ces matins, il s’enflammera pour quelque nouvelle idole, et vous laissera tranquille. En attendant…

— En attendant, interrompit Catherine, avec un juste sentiment d’orgueil et d’indignation, je serais la honte de mon sexe et le jouet de l’autre ; condamnée, sans avoir droit de m’en plaindre, par toutes les femmes dont l’estime vaut quelque chose, et méprisée par tous les hommes honnêtes ; dégradée dans ma propre estime, et avilie aux yeux des autres. Non, non, quand il faudrait gratter la terre avec mes ongles, quand il faudrait m’atteler à la plus rude charrue, cela ne sera pas. Ne vous y trompez pas, je ferai honneur jusqu’au bout à votre recommandation, je resterai dans la maison où vous m’avez placée jusqu’à ce que je sois autorisée à la quitter, d’après les termes mêmes de mon engagement ; mais pour ce qui est de revoir ces hommes, sachez-le bien, jamais ! Et puis, quand je sortirai de là, j’irai me cacher bien loin d’eux et de tous. J’accepterai le service le plus rude, s’il peut m’aider à soutenir ma mère, trop heureuse de vivre au moins en face avec moi-même et pleine de confiance en Dieu qui, lui, ne me délaissera pas ! »