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l’avoir regardée quelque temps en silence ; oui, je sais d’avance ce qu’elle va me dire, » et il parut un moment déconcerté de voir la détresse de sa belle nièce, mais il se ravisa bientôt. « Bon ! bon ! pensa-t-il, le grand mal ! quelques larmes versées, qui ne seront pas perdues pour elle. C’est un excellent apprentissage pour une jeune fille, un excellent apprentissage. »

« Voyons ! qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Ralph approchant sa chaise et s’asseyant en face d’elle.

Il fut bientôt frappé de la fermeté soudaine avec laquelle Catherine leva les yeux sur lui pour lui répondre.

« Ce qu’il y a, monsieur ? dit-elle ; ce qui m’amène devant vous, c’est quelque chose qui doit vous faire monter la rougeur au visage comme à moi, et allumer votre honte ; j’ai grandement à me plaindre, monsieur ; ma sensibilité a été outragée, insultée, blessée mortellement, et par qui ? par vos amis.

— Mes amis ! cria Ralph d’un ton rude ; moi, je n’ai pas d’amis, ma petite.

— Eh bien ! reprit-elle promptement, par les hommes que j’ai vus chez vous. S’ils n’étaient pas de vos amis, et que vous les connussiez bien cependant, il n’en est que plus honteux à vous de m’avoir jetée au milieu d’eux. Du moins, en m’exposant aux affronts que j’ai reçus ici, si vous aviez pu les accuser d’avoir trahi votre confiance, et vous reprocher à vous-même de n’avoir pas assez bien connu vos hôtes, c’était peut-être une excuse, si faible qu’elle pût être. Mais, si vous l’avez fait, comme à présent j’en suis sûre, sans vous faire d’illusion sur leur caractère ; ah ! c’était de votre part bien lâche et bien cruel ! »

Ralph recula sa chaise, frappé d’étonnement en entendant parler avec tant de franchise, et lança sur elle un de ses plus rudes regards. Mais elle, elle le soutint en face, fièrement et vaillamment ; et, toute pâle qu’elle était, son visage n’en était que plus noble et plus beau, éclairé par le feu de ses yeux. Jamais elle n’avait été si belle.

« Vous avez, à ce que je vois, du sang de votre frère dans les veines, dit Ralph d’une voix presque menaçante, car l’œil flamboyant de Catherine lui avait rappelé sa dernière entrevue avec Nicolas.

— Je l’espère bien, dit Catherine ; c’est mon orgueil de le croire. Je suis jeune, mon oncle, et ce sang dont vous parlez, toutes les difficultés et toutes les misères de ma position l’avaient refoulé dans mon cœur ; mais il reflue aujourd’hui, il se