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autre chose, tout le jour, que d’aller partout épancher une espèce de frémissement de plaisir qu’il ressentait encore, d’avoir donné la veille une poignée de main à un lord et d’avoir eu l’honneur de l’inviter à venir chez lui.

Le lord en question, dont la réflexion n’avait jamais été le fort, n’en était pas non plus autrement tourmenté à son réveil. Il se régalait seulement de la conversation de MM. Pyke et Pluck, qui, pour aiguiser leur esprit, se payaient à discrétion, aux frais du jeune lord, une foule de liquides pétillants et de stimulants de première qualité.

Il était quatre heures de l’après-midi, je veux dire de cette après-midi vulgaire qui se règle sur le soleil ou sur l’horloge ; et Mme Wititterly était accoudée, selon sa coutume, sur le sofa du salon, pendant que Catherine lui faisait la lecture d’un roman moderne en trois volumes, intitulé Dame Flabella, que le soi-disant Alphonse était allé chercher le matin même au cabinet de lecture. C’était une œuvre qu’on aurait crue faite exprès pour l’état maladif de Mme Wititterly, vu qu’il n’y avait pas une ligne, du commencement à la fin, qui pût donner la moindre crainte d’éveiller la moindre émotion de qui que ce fût au monde. Catherine lisait donc :

« Cherisette, dit dame Flabella, en glissant ses petits pieds de souris dans les pantoufles de satin bleu qui avaient été l’occasion involontaire d’une altercation demi-rieuse demi-sérieuse entre elle et le jeune colonel Befillaire dans le salon de danse (l’ouvrage était hérissé de citations françaises de même force), dans le salon de danse du duc de Mincefeuille la veille au soir. Cherisette, ma chère, donnez-moi de l’eau de Cologne, s’il vous plaît, mon enfant.

« — Mercie, c’est-à-dire je vous remercie, » dit dame Flabella, dont la fine et fidèle Cherisette venait d’arroser à longs flots, d’une senteur parfumée, le mouchoir de dame Flabella, élégante batiste garnie de la plus riche dentelle, et brodée aux quatre coins du chiffre de Flabella, avec les armes héraldiques pleines de magnificence de cette noble famille.

Mercie, c’est bien.

« À cet instant, pendant que dame Flabella respirait cette odeur délicieuse en tenant le mouchoir à son nez d’une forme exquise, mais taillé dans le style mélancolique, la porte du boudoir (artistement dissimulée par les riches tentures de damas de soie, bleu de ciel d’Italie) s’ouvrit à deux battants, et deux valets de chambre, revêtus de leurs somptueuses livrées, or et fleur de pêcher, s’avancèrent d’un pas discret dans la chambre. Derrière