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si vous voulez envoyer chercher, au cabaret voisin, un pot de bière half-and-half, franchement et véritablement je le boirai avec plaisir. »

Et en effet, franchement et véritablement, M. Pyke l’avala avec l’aide de M. Pluck, pendant que Mme Nickleby ne savait ce qu’elle devait admirer le plus, de la complaisance ou de l’habileté qu’ils montraient à boire à même du pot d’étain. Elle ne savait pas, comme nous pouvons l’expliquer à nos lecteurs, qu’il n’est pas rare de voir les gens qui font métier, comme MM Pyke et Pluck, de vivre de leur esprit ou plutôt du défaut d’esprit des autres, réduits de temps en temps à de dures nécessités, et par conséquent accoutumés, en pareille occasion, à des régals de la nature la plus simple et la plus primitive.

« Ainsi donc, à sept heures moins vingt minutes, dit M. Pyke en levant le siège, la voiture sera devant votre porte. Voyons, regardons encore une fois, une petite fois cette charmante fille. Ah ! la voici ; toujours la même, toujours la même, elle n’a pas changé (par parenthèse, où M. Pyke avait-il pris qu’une miniature pût changer en si peu de temps ?). Ah ! Pluck ! Pluck ! »

M. Pluck, à cette interpellation, ne fit pas d’autre réponse que de baiser la main de Mme Nickleby avec une grande démonstration de tendresse et d’attachement. M. Pyke, de son côté, en fit autant, et les deux gentlemen se retirèrent à la hâte.

Il n’était pas rare que Mme Nickleby se félicitât elle-même de la pénétration et de la finesse dont la nature l’avait douée. Mais cette fois elle se sentit plus que jamais charmée d’avoir tout deviné d’avance par la seule force de son esprit prévoyant. N’était-ce pas l’accomplissement exact de ses plans de la veille ? Elle n’avait jamais vu sir Mulberry et Catherine ensemble ; bien mieux elle n’avait même jamais entendu prononcer le nom de sir Mulberry ; et cependant ne s’était-elle pas dit tout de suite où en étaient les choses ? triomphe d’autant plus glorieux, qu’à présent, il n’y avait plus l’ombre d’un doute. Quand toutes ces attentions flatteuses dont elle était l’objet n’en seraient pas une preuve suffisante, l’ami de cœur, le confident de sir Mulberry n’avait-il pas assez souvent laisse échapper son secret ? « Ce cher M. Pluck, dit-elle, je suis folle de lui : c’est sûr : il est si aimable ! »

Cependant, il y avait quelque chose qui lui gâtait un peu son bonheur, c’est qu’elle n’avait personne à qui le confier. Deux ou trois fois, elle fut sur le point d’aller trouver directement miss la Creevy pour tout lui dire, mais, après réflexion : « Je ne sais pas, dit-elle, si je ferais bien ; c’est une très honnête personne,