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jolie lettre qu’elle nous écrivait tous les six mois pour nous dire qu’elle était la première de tout l’établissement, et celle qui avait fait le plus de progrès. Rien que d’y penser, j’en suis encore tout émue. Les pensionnaires écrivaient toutes leurs lettres elles-mêmes. Le maître d’écriture n’avait plus qu’à les retoucher au verre grossissant, avec une plume d’argent. Du moins, je crois bien que les demoiselles les écrivaient elles-mêmes, bien que Catherine ne s’en soit jamais expliquée bien clairement, parce que, disait-elle, elle ne reconnaissait plus là son écriture. Mais, dans tous les cas, je sais qu’elles copiaient toutes cette circulaire qu’on leur donnait pour écrire à leurs parents, qui, naturellement, étaient bien enchantés de la recevoir, bien enchantés. »

Tels étaient les souvenirs qui servirent à Mme Nickleby à charmer les ennuis du chemin jusqu’à la station de l’omnibus. Là, l’extrême politesse de ses nouveaux amis ne leur permit pas de la laisser seule jusqu’au départ. Alors seulement ils lui tirèrent leur chapeau avec la plus respectueuse déférence, et lui envoyèrent des baisers d’adieu avec leurs gants de chevreau jaune-paille, jusqu’à ce qu’elle et l’omnibus eurent entièrement disparu à leurs yeux.

Mme Nickleby alla s’enfoncer dans un coin de la voiture, ferma les yeux et se livra à son aise à une foule de suppositions, toutes plus agréables les unes que les autres. Catherine ne lui avait jamais dit un mot de la rencontre qu’elle avait faite de ces gentlemen, ce qui prouvait bien, selon elle, qu’elle avait une forte inclination pour l’un d’eux. Mais lequel ? voilà la question. Le lord était plus jeune que l’autre, et son titre supérieur. Mais Catherine n’était pas fille à se laisser séduire par de si pauvres considérations. « Je ne contrarierai jamais ses inclinations, se disait Mme Nickleby ; mais, si c’était moi, je ne ferais aucune comparaison entre Sa Seigneurie et sir Mulberry. Sir Mulberry est un gentleman si plein d’attentions délicates, il a de si belles manières, un si belle tournure : il a tout pour lui ! J’espère que c’est sir Mulberry qu’elle a distingué ; oui, ce doit être lui. » Et alors voilà ses pensées qui s’envolent et l’emportent vers ses anciennes prophéties, un temps où elle avait prédit tant de fois que Catherine sans fortune ferait un plus beau mariage que bien des demoiselles fières de leurs dots superbes ; et repassant dans son imagination, avec toute la vivacité de la tendresse d’une mère, la beauté, la grâce de la pauvre fille qui avait accepté si vaillamment la lutte cruelle de sa vie d’épreuves laborieuses, son cœur débordait en un ruisseau de larmes qui inondait ses joues.

Pendant ce temps-là, Ralph se promenait de long en large dans