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mit à compter un par un les chers petits amis des jours de sa jeunesse, en invitant chacun de ceux qui étaient présents, à son tour, à venir l’embrasser. Ce n’était pas tout ; elle se ressouvint ensuite que Mme Crummles avait été pour elle plus qu’une mère ; après cela, que M. Crummles avait été pour elle plus qu’un père ; après cela, que les petits MM. Crummles et Mlle Nina Crummles avaient été pour elle plus que des frères et sœurs. Tous ces souvenirs variés, avec accompagnement d’embrassades, ne laissèrent pas de durer longtemps ; il fallut ensuite qu’on les menât bon train à l’église pour réparer le temps perdu.

La file de voiture se composait de deux citadines. Dans la première était Mlle Bravassa, la quatrième fille d’honneur, Mme Crummles, le percepteur et M. Folair, qu’il avait pris pour témoin dans cette occasion ; l’autre voiture possédait la fiancée, M. Crummles, Mlle Snevellicci, Mlle Ledrook et le phénomène. Les costumes étaient magnifiques : les filles d’honneur étaient toutes couvertes de fleurs artificielles, et le phénomène, en particulier, disparaissait presque tout entier sous le bosquet portatif dans lequel elle était enchâssée. Mlle Ledrook, qui avait une tournure d’esprit un peu romanesque, portait sur le sein la miniature d’un officier général inconnu, qu’elle avait achetée à bon marché quelques jours avant. Les autres dames étalaient des articles éblouissants de bijouterie d’imitation, mais une imitation qu’on aurait jurée vraie ; quant à Mme Crummles, elle posait dans tout l’éclat de sa majesté tragique, qui attirait l’admiration de tous les passants.

Cependant je ne sais pas si la mine de M. Crummles n’avait pas encore quelque chose de plus frappant et de mieux approprié à la circonstance, que tous les autres membres de la compagnie. M. Crummles, qui représentait le père de la fiancée, avait eu l’idée heureuse et originale de se composer pour son rôle un costume particulier. Il s’était d’abord affublé d’une perruque de théâtre dans le style et sur le modèle de celle que l’on connaît généralement sous le nom de perruque de M. Pigeon, en harmonie avec un habillement complet de drap tabac du siècle précédent, des bas de soie gris et des souliers à boucles. Pour mieux entrer dans l’esprit de son rôle, il avait pris le parti de se montrer très affecté ; et, par conséquent, lorsque le cortège passa sous le porche de l’Église, les sanglots de ce père sensible fendaient si bien le cœur, que le bedeau lui proposa de se retirer un moment dans la sacristie, pour se remettre en buvant un verre d’eau avant le commencement de la cérémonie. Ce fut un beau spec-