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towker s’éveilla le lendemain matin dans la chambre de Mlle Snevellicci, elle ne voulut jamais croire qu’elle en fût déjà réellement au jour qui devait éclairer un si grand changement dans sa condition.

« Non, je ne le croirai jamais, dit-elle ; réellement ce n’est pas possible ; vous aurez beau dire, je ne pourrai jamais me décider à consommer un pareil sacrifice. »

À ces mots, Mlle Snevellicci et Mlle Ledrook, qui savaient parfaitement qu’il y avait déjà trois ou quatre ans que leur belle amie était décidée à faire de gaieté de cœur, aussitôt qu’on voudrait, ce terrible sacrifice, et qu’il ne lui avait manqué que la rencontre d’un monsieur un peu sortable pour le consommer, se mirent à lui prêcher le courage et la fermeté ; à lui faire sentir combien elle devait être fière de se voir à même de faire à tout jamais le bonheur d’un objet digne de son choix ; combien il était nécessaire à la béatitude de l’espèce humaine en général, que les femmes, en pareille occasion, s’armassent de courage et de résignation ; elles-mêmes, et toutes persuadées qu’elles étaient que la véritable félicité consistait dans le célibat, qu’elles ne voudraient pas changer pour tout l’or du monde, cependant, grâce à Dieu, si jamais elles devaient en venir là à leur tour, elles avaient l’espérance de connaître trop bien alors leur devoir pour s’y soustraire ; elles ne s’en soumettraient qu’avec plus de douceur et d’humilité de cœur à une destinée que la Providence leur aurait visiblement imposée pour le contentement et la récompense de leurs frères et de leurs semblables.

« Ce serait, dit Mlle Snevellicci, un coup terrible pour moi, je l’avoue, de me voir obligée à rompre mes vieilles relations et tout ce que vous voudrez dans ce genre-là ; mais je me soumettrais, ma chère, vous pouvez en être sûre.

— Et moi aussi, dit Mlle Ledrook. Je bénirais plutôt le joug conjugal que je ne le maudirais ; j’ai déjà tant fait de malheureux, que j’en suis toute triste : c’est affreux, voyez-vous, de songer à cela.

— Certainement, dit Mlle Snevellicci ; mais, voyez-vous, ma chère petite, nous n’avons que le temps de l’apprêter, ou vous verrez que nous serons en retard. »

Grâce à ce sermon pieux, et peut-être aussi à la crainte de se mettre en retard, la fiancée put supporter sans trop d’émoi la cérémonie de sa toilette de mariée. Après quoi, pour affermir ses membres délicats et lui donner une démarche plus assurée, on lui administra, par doses alternatives, quelques tasses de thé fort et quelques petits verres d’eau-de-vie.