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« Ce n’est pas grand’chose qu’un célibataire, dit M. Lillyvick.

— Vraiment ? répondit Nicolas.

— Certainement, reprit le percepteur. Voici bientôt soixante ans que je suis de ce monde, et je dois savoir ce qui en est.

— Qu’il doive le savoir, pensa Nicolas, c’est positif, mais qu’il le sache, c’est une autre question.

— Si un célibataire a eu le bonheur de mettre de côté un peu d’argent, dit M. Lillyvick, ses frères et sœurs, neveux et nièces pensent à cet argent beaucoup plus qu’à lui, fût-il même, en raison de son caractère public, le chef de la famille et pour ainsi dire le grand canal où débouchent tous les petits tuyaux. Ils ne font que souhaiter sa mort tout le temps, et rien n’égale leur découragement quand ils le voient en bonne santé. Et tout cela, parce qu’ils brûlent d’hériter de son petit bien ! Cela ne vous étonne pas, n’est-ce pas ?

— Oh ! c’est vrai, trop vrai ! répliqua Nicolas.

— La grande raison pour ne pas se marier, c’est que l’on craint la dépense, et c’est là ce qui m’a retenu. Autrement, parbleu ! dit M. Lillyvick en faisant claquer ses doigts, j’aurais pu avoir cinquante femmes.

— De belles femmes ? demanda Nicolas.

— Oui, monsieur, de belles femmes. Je ne dis pas d’aussi belles femmes qu’Henriette Petowker, celle-là n’est pas un modèle ordinaire, mais des femmes enfin telles que tout le monde ne peut pas se flatter d’en rencontrer tous les jours sur son chemin. Maintenant, supposez qu’un homme épouse une fortune, non pas précisément avec sa femme, mais dans sa femme même…

— Diantre ! Mais alors, répliqua Nicolas, cet homme-là n’est pas à plaindre.

— C’est justement ce que je me dis, répliqua le percepteur en lui caressant par amitié la tête avec le manche de son parapluie ; c’est justement ce que je me dis. Henriette Petowker, la fameuse Henriette Petowker a par elle-même une fortune dans son talent, et je vais…

— En faire Mme Lillyvick ? dit Nicolas.

— Non, monsieur, non, pas Mme Lillyvick, repartit le percepteur : une actrice garde toujours son nom, c’est la règle mais enfin je vais l’épouser, et pas plus tard qu’après-demain.

— Je vous en fais mon compliment, monsieur, dit Nicolas.

— Merci, monsieur, continua le percepteur en boutonnant son gilet. Je toucherai ses honoraires, naturellement, et j’espère, après tout, que la vie n’est guère plus chère pour deux que pour un : c’est toujours une consolation.