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instant qu’il venait encore d’entrer un individu au parterre.

Enfin, enfin, le dernier coup d’archet, et la toile se lève sur la pièce nouvelle. Comme il n’y avait pas d’acteur remarquable dans la première scène, elle se passa d’une façon assez calme ; mais, dans la seconde, à l’apparition de Mlle Snevellicci en compagnie du phénomène son enfant, quel tonnerre d’applaudissements ! La loge des Borum tout entière se leva comme un seul homme, agitant mouchoirs et chapeaux, et vociférant des bravos à outrance. Mme Borum et la gouvernante jetèrent sur le théâtre des couronnes, dont les unes voltigèrent parmi les quinquets, et dont une autre alla décorer le chef d’un gros monsieur du parterre, trop occupé à regarder la pièce pour s’apercevoir seulement de cet insigne honneur. Le tailleur et sa famille tapaient des pieds sur le parquet des loges supérieures avec une telle ferveur d’enthousiasme, qu’on put craindre un moment qu’ils n’allassent bientôt défoncer tout et passer au travers. Le garçon limonadier, avec sa limonade et bière, restait cloué au centre du théâtre. On vit même un jeune officier, soupçonné d’un attachement de cœur pour Mlle Snevellicci, s’enfoncer son lorgnon dans le coin de l’œil, sans doute pour cacher une larme. Une fois, deux fois, Mlle Snevellicci fit des révérences de plus en plus profondes, et une fois, deux fois, les applaudissements redoublèrent, de plus en plus éclatants. Enfin, quand le phénomène eut ramassé une des couronnes roussie par les quinquets et l’eut placée de travers sur l’œil gauche de Mlle Snevellicci, l’enthousiasme arriva à son paroxysme, et la pièce, un moment interrompue, reprit son cours.

Mais quand Nicolas en vint à sa scène passionnée avec Mme Crummles, c’est alors qu’on battit des mains ; et quand Mme Crummles, son indigne mère, se mit à l’appeler en ricanant un petit présomptueux, et qu’il fit tête à ses insultes, c’est alors qu’il y eut un tumulte d’applaudissements ; et quand il eut sa querelle avec l’autre monsieur au sujet de la demoiselle, quand il mit sur la table sa boîte à pistolets, en disant que, si l’autre était un gentleman, il se battrait avec lui dans le salon même jusqu’à ce que les meubles fussent tâchés du sang de l’un des combattants sinon de tous deux, c’est alors que, depuis les loges jusqu’au paradis, sans oublier le parterre, il n’y eut qu’un cri d’admiration retentissant ; et quand il dit à la mère son fait, parce qu’elle ne voulait pas lâcher les biens de la demoiselle, et quand, la voyant s’attendrir, il s’attendrit à son tour et tomba sur un genou pour lui demander sa bénédiction, c’est alors qu’il