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— Pourrais-je me permettre, monsieur, dit Nicolas hésitant entre le respect que lui imposait son rôle de circonstance et l’entraînement de son humeur moqueuse, me permettre de vous demander ce que c’est que les unités ? »

M. Curdle toussa, pensa et dit :

« Les unités, monsieur, forment un corps, — comme qui dirait les tenons et les mortaises d’une charpente, — en matière de temps et de lieu, — une sorte d’union générale, si l’on veut bien me permettre cette expression hardie. Voilà, à mon sens, les unités dans le drame, autant que j’ai pu le reconnaître par l’étude approfondie que j’en ai faite, et Dieu sait si j’ai négligé de lire et de réfléchir beaucoup sur cette question. » Puis, se tournant vers le phénomène : « Je trouve, continua-t-il, en prenant l’un après l’autre tous les rôles de cet enfant, une unité de sentiment, une ampleur, une lumière nuancée, une chaleur de coloris, un ton, une harmonie, un éclat, un développement artistique de conceptions originales que je cherche en vain chez des acteurs plus anciens dans le métier. — Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre ?

— Parfaitement, répondit Nicolas.

— Eh bien ! vous voyez, dit M. Curdle en relevant sa cravate, voilà ma définition des unités dans le drame. »

Mme Curdle était resté à écouter cette explication lucide avec un air de vive sympathie, et, quand la tirade fut finie, elle demanda à M. Curdle si son intention était de souscrire.

« Mais, ma chère, je ne sais pas. En vérité, je n’en sais rien, dit M. Curdle. Si nous souscrivons, il faut qu’on sache bien que nous n’entendons pas par là garantir le mérite de la représentation. Il faut faire connaître au monde que nous n’y donnons pas la sanction de notre nom ; que c’est purement une distinction que nous croyons devoir à Mlle Snevellicci. Une fois ce point bien et dûment établi, je regarderais volontiers comme un devoir d’étendre notre patronage au théâtre, même dans l’état de dégradation où il est tombé, par considération pour les personnes qui s’y trouvent associées.

— Avez-vous sur vous deux francs soixante centimes, mademoiselle Snevellicci, à me rendre sur cinq francs ? » dit M. Curdle en étalant quatre pièces de cent sous.

Mlle Snevellicci tâta tous les coins de son ridicule, mais il n’y avait pas une pièce de monnaie. Quant à Nicolas, sont titre d’auteur lui servit naturellement d’excuse pour le dispenser de chercher dans sa bourse et de tâter ses poches.

« Voyons, dit M. Curdle, deux fois cinq font dix. C’est bien cher,