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« Ah ! c’est vous, mademoiselle Snevellicci, dit Mme Curdle en entrant dans le parloir ; et comment vous portez-vous ? »

Miss Snevellicci fit une révérence pleine de grâce ; elle exprima l’espérance que Mme Curdle se portait bien, ainsi que M. Curdle, qui ne tarda pas à paraître. Mme Curdle était en négligé du matin, avec un petit bonnet planté sur le sommet de la tête. M. Curdle avait endossé une grande robe de chambre et tenait l’index de sa main droite sur son front, d’après les portraits de Stern, depuis que je ne sais qui lui avait trouvé une grande ressemblance avec cet écrivain.

« J’ai pris la liberté de vous rendre visite, pour vous demander, madame, si vous ne voudriez pas bien souscrire à mon bénéfice, dit Mlle Snevellicci présentant son programme.

— Oh ! je ne sais vraiment qu’en dire, répliqua Mme Curdle ; ce n’est pas comme si le théâtre était encore dans ses jours de grandeur et de gloire ; — ne restez dont pas debout, mademoiselle Snevellicci, — aujourd’hui le drame est mort, bien mort.

— Certainement, dit M. Curdle, soit qu’on le considère comme l’incarnation merveilleuse des visions du poète, ou comme la réalisation de l’intellectualité humaine qui vient dorer de ses reflets brillants nos moments de mélancolie, et ouvrir devant les yeux de notre esprit l’horizon magique d’un monde tout nouveau, le drame est mort, bien mort.

— Où trouver aujourd’hui un homme qui puisse nous rendre ces couleurs changeantes du prisme resplendissant dont le poète a revêtu le caractère d’Hamlet ? dit Mme Curdle.

— Oui, où le trouver cet homme… au moins sur le théâtre ? dit M. Curdle, qui n’était pas fâché de faire cette réserve en sa faveur. Hamlet ! fi donc ! c’est ridicule. Hamlet est mort, bien mort. »

En proie à ces réflexions douloureuses, M. et Mme Curdle poussèrent un soupir et restèrent quelque temps sur leurs chaises sans dire un mot. À la fin, la dame, se tournant vers Mlle Snevellicci, lui demanda quelle pièce on devait jouer.

« Une pièce toute nouvelle, dit Mlle Snevellicci. C’est monsieur qui en est l’auteur, et il y joue un rôle pour son premier début au théâtre. M. Johnson, madame.

— J’espère, monsieur, que vous avez gardé fidèlement les unités ? dit M. Curdle.

— C’est la traduction d’une pièce française, dit Nicolas. On y trouve des incidents variés, un dialogue animé, des caractères fortement tracés.

— Tout cela n’est rien, monsieur, reprit M. Curdle, sans les unités. Dans un drame, les unités avant tout.