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des raisons de croire que Mlle Snevellicci est bien la demoiselle dont il a été question dans cette affaire mystérieuse et romanesque, et dont la conduite, dans cette occasion, n’a pas fait moins d’honneur à son cœur et à son jugement que ses triomphes théâtraux n’en font tous les jours à son brillant génie. »

L’album de Mlle Snevellicci n’était guère rempli que de paragraphes de ce genre, avec de longues affiches de représentation à bénéfice, toutes finissant par ces mots : « Venir de bonne heure ! » en grosses capitales.

Nicolas en avait déjà lu un bon nombre et se trouvait absorbé, pour le moment, dans un récit triste et détaillé de la suite de circonstances qui avaient déterminé chez Mlle Snevellicci une luxation de la malléole interne du pied gauche ; le pied lui avait glissé sur une pelure d’orange qu’un monstre à figure humaine (ainsi s’exprimait le rédacteur du journal) avait jetée sur la scène de Winchester. Il en était au moment où elle venait de se démettre la cheville, lorsqu’il la vit tomber du ciel en personne, coiffée du fameux chapeau à corridor, et tirée à quatre épingles, avec un millier d’excuses pour l’avoir fait attendre si longtemps après l’heure convenue.

« Mais, je vous assure que c’est la faute de cette chère Ledrook qui demeure avec moi ; elle s’est trouvée si indisposée cette nuit que j’ai cru qu’elle allait m’expirer dans les bras.

— Destin digne d’envie ! répliqua Nicolas. Cependant, croyez que je suis réellement fâché de ce que vous me dites là.

— Vilain flatteur que vous êtes ! dit Mlle Snevellicci en boutonnant ses gants avec une confusion inexprimable.

— Si c’est être flatteur que de rendre hommage à votre mérite et à vos charmes, reprit Nicolas la main sur l’album, vous avez ici bien des flatteurs.

— Ah ! faut-il que vous soyez terrible, d’avoir lu de pareilles choses ! Je n’oserai plus jamais vous regarder en face. C’est vrai, j’en suis toute honteuse, dit Mlle Snevellicci en saisissant l’album pour l’emporter dans son cabinet. C’est cette négligente de Ledrook : elle est vraiment détestable.

— Et moi qui croyais que vous l’aviez laissé là tout exprès pour me le faire lire, dit Nicolas ; car enfin, la chose n’était pas invraisemblable.

— Je voudrais pour tout au monde que vous ne l’eussiez pas lu, répliqua Mlle Snevellicci ; je n’ai jamais été si contrariée de ma vie, jamais. Mais c’est une vieille sans soin, il faudrait toujours être derrière elle. »

En ce moment la conversation fut interrompue par l’entrée