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principaux personnages de la ville ? murmura doucement le directeur d’une voix persuasive.

— Ah ! grand Dieu ! dit Nicolas d’un air très peu disposé à le faire, j’en serais bien fâché.

— L’enfant l’accompagnera, monsieur Johnson. Dès les premiers moments qu’on m’en a parlé, j’ai donné la permission à l’enfant d’y aller. Vous voyez que tout se passera dans les règles de la plus stricte convenance. Mlle Snevellicci, d’ailleurs, est le temple même de l’honneur. Vous lui rendriez là un service capital : le gentleman venu de Londres, auteur de la pièce nouvelle, acteur dans la nouvelle pièce, premier début, croyez que tout cela donnerait des chances bien favorables à son bénéfice, monsieur Johnson.

— Je suis désolé de détruire des espérances flatteuses, surtout celles d’une demoiselle, répliqua Nicolas ; mais réellement je ne puis me décider à m’associer à cette démarche.

— Vincent, que dit donc là M. Johnson ? demanda une voix tout contre son oreille, et, en se retournant, il se trouva nez à nez avec Mme Crummles et Mlle Snevellicci elle-même.

— Il n’est pas bien décidé, ma chère, répliqua M. Crummles en regardant Nicolas.

— Il n’est pas décidé, s’écria Mme Crummles, est-il possible ?

— Oh ! j’espère que non ! cria Mlle Snevellicci ; certainement non, vous n’êtes pas assez cruel. Ah ! mon Dieu !… et moi qui… Comment faire, après avoir compté là-dessus ?

— M. Johnson ne persistera pas dans son refus, ma chère, dit Mme Crummles ; vous n’avez pas assez mauvaise opinion de lui pour le croire. Il sait bien que la galanterie, l’humanité, tous les bons sentiments qui lui sont naturels, sont en cause et plaident en votre faveur.

— Le cœur même d’un directeur y serait sensible, dit M. Crummles en souriant.

— Et celui d’une femme de directeur aussi, ajouta Mme Crummles, toujours sur le ton de la tragédie. Allons, allons, vous commencez à vous attendrir ; est-ce que je ne vous connais pas bien ?

— Il n’est pas dans ma nature, dit Nicolas, attendri en effet par cet appel à ses bons sentiments, de résister aux prières, tant qu’il ne s’agit pas d’une chose absolument contraire à mes principes, et je ne vois, à vrai dire, ici, qu’un peu d’amour-propre qui me retient encore. Mais, après tout, je ne connais ici personne, personne ne me connaît. Soit ! je me rends. »

Mlle Snevellicci n’eut pas plutôt entendu ces dernières paroles,