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même âge, non pas de mémoire d’homme dans le pays, mais toujours bien depuis cinq bonnes années. Après cela, comme on l’avait fait veiller très tard tous les soirs, et qu’on lui avait donné, depuis son enfance, du grog au genièvre à discrétion pour l’empêcher de grandir, peut-être fallait-il attribuer à ce système d’éducation la jeunesse phénoménale de l’enfant phénoménal.

Pendant ce petit dialogue, le gentleman qui avait fait le sauvage, s’avança, les pieds dans ses souliers ordinaires, et ses pantoufles de sauvage à la main ; il se tint à quelques pas de leur groupe, comme s’il avait le désir de prendre part à leur conversation. Trouvant l’occasion favorable pour placer son mot :

« C’est un vrai talent, monsieur, dit-il en montrant de la tête Mlle Crummles. Nicolas ne manqua pas d’être de son avis.

— Ah ! dit l’acteur, serrant les dents, avec une respiration sifflante, elle ne devrait pas rester en province, certainement non.

— Que voulez-vous dire ? dit le directeur.

— Je veux dire, répliqua l’autre avec chaleur, qu’un théâtre de province n’est pas digne d’elle, et que, si sa place n’est pas dans un des grands établissements de Londres, elle n’est nulle part ; et je ne vois pas quatre chemins pour vous dire que, sans l’envie et la jalousie de certaines personnes que vous connaissez bien, elle y serait déjà. Voudriez-vous me présenter à monsieur, monsieur Crummles ?

— M. Folair, dit le directeur, le présentant en effet à Nicolas.

— Heureux de faire votre connaissance, monsieur. »

M. Folair toucha de son index le bord de son chapeau et donna une poignée de main à Nicolas. « Un nouveau collègue, monsieur, à ce qu’on m’a dit ?

— Un collègue bien indigne, répliqua Nicolas.

— Dites donc, lui murmura l’acteur à l’oreille, en le tirant à part pendant que Crummles les quittait pour parler à sa femme, avez-vous jamais vu pareille attrape ?

— Pareille à quoi ? »

M. Folair fit une des grimaces les plus comiques de son répertoire mimique, en montrant du doigt, par-dessus son épaule, la famille Crummles.

« Vous ne voulez pas parler de l’enfant phénoménal ?

— L’enfant flouriménal, monsieur, répliqua M. Folair. Il n’y a pas une petite fille d’une intelligence ordinaire dans les écoles de charité qui ne pût faire mieux que cela ; elle doit de belles grâces à son étoile d’être née fille de directeur.