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long d’un petit labyrinthe de tentures en toile et de pots de peinture, si bien qu’à la fin ils se trouvèrent sur les planches du théâtre de Portsmouth.

« Nous y voilà ! » dit M. Crummles.

Quoiqu’il n’y fît pas très clair, Nicolas put reconnaître qu’il se trouvait tout près de la première coulisse, à côté du trou du souffleur, contre des murailles nues, des toiles poudreuses, des nuages moisis, des draperies barbouillées à grands coups de brosse, et un parquet des plus malpropres. En portant les yeux autour de lui, sur le plafond, sur le parterre, les loges, la galerie, l’orchestre, les ornements et les décors en général, tout lui parut grossier, froid, triste, misérable.

« Est-ce que c’est là ce qu’on nomme un théâtre ? lui dit tout bas Smike ébahi. J’avais toujours cru que ce devait être éblouissant de luxe et de lumière.

— Vous ne vous trompiez pas, répondit Nicolas qui n’était guère moins surpris. Mais, voyez-vous, ce n’est pas pendant le jour, Smike, ce n’est que le soir. »

Pendant qu’il examinait ainsi curieusement les détails de l’édifice, la voix du directeur appela son attention vers l’avant-scène vis-à-vis. Là on voyait assise à une petite table d’acajou de forme oblongue, supportée sur des pieds rachitiques, une vaste et forte femme qui paraissait avoir entre quarante et cinquante ans, avec une robe de soie passée, tenant à la main, par les rubans, son chapeau, qu’elle balançait à plaisir, les cheveux (des cheveux abondants) tressés en larges festons sur ses deux tempes.

« Monsieur Johnson, lui dit le directeur, car Nicolas avait gardé le nom que lui avait donné Newman Noggs chez les Kenwigs, que je vous présente Mme Vincent Crummles.

— Je suis charmée de vous voir, monsieur, dit Mme Vincent Crummles d’une voix sépulcrale. Je suis enchantée de vous voir, et plus encore de saluer en vous un membre d’avenir pour notre corps. »

La dame, en lui adressant ce compliment, lui tendit la main, une fameuse main, comme Nicolas put s’en apercevoir à l’étreinte puissante dont cette main de fer honora la sienne.

« Et ce jeune homme… ajouta-t-elle en s’avançant vers Smike du pas d’une tragédienne qui marche sur la scène, conformément aux prescriptions de son rôle, ce jeune homme est votre compagnon ? Soyez aussi le bienvenu, monsieur.

— Il fera bien l’affaire, qu’en pensez-vous, ma chère ? dit le directeur en prenant une prise de tabac.