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différence. Comment voudriez-vous exciter l’intérêt de l’assemblée, je dis un intérêt légitime, s’il n’y a pas un tout petit homme aux prises avec un grand géant, ou même avec cinq ou six ? Mais, malheureusement, nous n’avons pas assez de sujets dans la troupe pour aller jusque-là.

— Je comprends, répliqua Nicolas. Pardon, j’étais un grand sot, je le confesse, de n’avoir pas songé à cela.

— C’est là toute l’affaire, dit M. Crummles. Après-demain, nous débutons à Portsmouth ; si vous allez par là, faites un tour au théâtre et vous m’en direz des nouvelles. »

Nicolas promit de ne pas y manquer, s’il pouvait, et, approchant sa chaise du feu, entra tout de suite en conversation avec le directeur. C’était un homme très expansif de sa nature, devenu peut-être un peu plus babillard encore par l’effet des grogs répétés qu’il savourait à longs traits, ou bien encore par la vertu du tabac, qu’il prenait en grande quantité, puisant à même dans un cornet de papier gris qu’il avait dans la poche de son gilet. Il se mit à conter ses affaires sans aucune réserve, s’étendant avec complaisance sur les mérites de sa troupe et sur les talents de sa famille : les deux combattants, les héros du duel au sabre, n’en étaient pas les moins honorables ; les autres, tant dames que messieurs, s’étaient donné, à ce qu’il paraît, rendez-vous à Portsmouth pour le lendemain, où le père et les fils allaient les rejoindre. Ce n’était plus la saison des bains ; mais M. Crummles comptait y faire une excursion profitable, après avoir rempli dernièrement un engagement au théâtre de Guilford, avec des applaudissements unanimes.

« Allez-vous par là ? demanda le directeur.

— Ou…i, dit Nicolas, oui ; c’est par là que je vais.

— Connaissez-vous un peu la ville ? demanda le directeur, qui paraissait se croire en droit d’obtenir autant de confiance qu’il en montrait lui-même.

— Non, répondit Nicolas.

— Vous n’y avez jamais été ?

— Jamais. »

M. Vincent Crummles répliqua par une petite toux sèche qui voulait dire : « Si vous êtes discret, gardez vos secrets pour vous, » et il se mit à puiser dans son cornet de papier tant de prises de tabac successives, que Nicolas se demandait avec surprise où tout cela pouvait passer.

Cependant M. Crummles considérait de temps en temps, avec un grand intérêt, Smike, qui, dès son apparition, semblait l’avoir émerveillé. Pour le moment, le compagnon de Nicolas