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comme un lion, jusqu’à ce que le grand matelot lui eût fait tomber le sabre des mains. Oui, mais voilà-t-il pas que le petit, réduit à cette extrémité qu’on le croyait prêt à capituler tout de suite en criant merci, au lieu de cela, tire tout à coup de sa ceinture un gros pistolet dont il présente la gueule à la face du grand matelot, qui s’attendait si peu à cette surprise, qu’il donna au petit le temps de ramasser son sabre et de recommencer le combat. Alors, on se remet à ferrailler avec une variété charmante de coups de fantaisie des deux parts : des coups de la main gauche, des coups par-dessous la jambe, par-dessus l’épaule droite, par-dessus l’épaule gauche. Le petit matelot lance aux jambes du grand matelot une vigoureuse estocade qui les aurait coupées tout net, si l’autre n’avait pas sauté par-dessus le sabre fatal ; même attaque rendue au petit, qui l’esquive en sautant à son tour par-dessus le sabre de son adversaire. Alors, des feintes et des contre-feintes, tout en relevant sa culotte qui tombait faute de bretelles ; et enfin le petit matelot, qui était évidemment le rôle noble de la pièce, car il avait toujours le dessus, fit une attaque désespérée, serra le bouton au grand matelot, qui, après quelques efforts inutiles, tomba à la renverse et expira dans de cruelles tortures, pendant que le petit, lui mettant le pied sur la poitrine, le perça de part en part.

« Vous serez bissés plus d’une fois pour ce tableau-là, si vous voulez, enfants, dit M. Crummles ; mais, pour le moment, reprenez haleine et allez changer. »

Après avoir adressé ces mots aux combattants, il salua Nicolas, qui put alors observer à loisir M. Crummles. Sa figure était de taille à bien répondre au reste de sa personne ; sa lèvre inférieure était grosse et épaisse ; sa voix enrouée annonçait qu’il devait crier souvent à tue-tête ; ses cheveux noirs, rasés jusqu’au haut de la tête, lui laissaient la facilité de porter des perruques à caractères de toute forme et de tout modèle.

« Eh bien ! qu’en dites-vous ? demanda M. Crummles.

— Ma foi ! c’est fort joli, excellent, dit Nicolas.

— Vous ne verrez pas souvent des gaillards comme ceux-là, je vous en réponds. »

Nicolas n’eut garde de le contredire ; mais il eut le tort d’ajouter que « s’ils étaient mieux assortis…

— Assortis ! cria M. Crummles.

— Je veux dire que s’il n’y avait pas une si grande différence de taille…

— De taille ! répéta M. Crummles ; mais c’est là le beau du combat, c’est qu’il y ait toujours au moins un pied ou deux de