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« Enlevé ! dit-il à voix basse. J’étais sûr qu’il ne demanderait pas mieux. Vous allez voir quelque chose qui en vaut la peine, là-dedans. Peste ! comme ils se trémoussent ! »

Et, sans attendre qu’on lui demandât des explications sur ces exclamations prononcées d’un air de ravissement, l’aubergiste avait déjà ouvert la porte toute grande pour faire passer Nicolas, suivi de Smike, toujours son paquet sur l’épaule, car il ne le portait pas avec moins de vigilance que si c’eût été un sac d’écus.

Nicolas s’attendait sans doute à voir quelque chose d’étrange, mais non pas quelque chose d’aussi étrange que le spectacle qui frappa sa vue. Au bout de la chambre, il y avait deux jeunes gens, l’un très grand, l’autre très petit, tous deux en costume de matelots, c’est-à-dire de matelots de théâtre, avec boucles et ceinturons, une queue et des pistolets ; rien n’y manquait. Ils se livraient à ce qu’on appelle sur l’affiche un terrible combat, avec deux de ces sabres à garde couverte dont on se sert d’habitude sur les planches de nos boulevards. Le petit avait déjà pris l’avantage sur le grand, qui se voyait réduit à une situation critique. Ce duel à mort était surveillé par un homme gros et pesant, perché sur le coin d’une table, d’où il leur criait avec énergie de tirer plus d’étincelles du choc de leurs sabres, leur promettant, dans ce cas, de faire crouler la salle sous un tonnerre d’applaudissements à la première représentation.

« Monsieur Crummles, dit l’aubergiste avec un air d’humble déférence, voici le jeune gentleman en question. »

M. Vincent Crummles accueillit Nicolas avec un mouvement de tête qu’on pouvait prendre à volonté pour une politesse d’empereur romain ou pour un salut de chevalier de la bouteille, puis il dit à l’hôte de fermer la porte et de s’en aller.

« En voilà un tableau ! ajouta M. Crummles en faisant signe à Nicolas de ne pas bouger pour ne point déranger les combattants. Le petit le tient ! Si le grand ne le renverse pas en moins de trois secondes, je vous le donne pour un homme mort. Recommencez cela, enfants. »

Les deux champions retournent donc au temps, et se mettent à ferrailler jusqu’à ce que les sabres échauffés fassent jaillir une pluie d’étincelles, à la grande satisfaction de M. Crummles, qui paraissait considérer ce feu d’artifice comme un point capital. L’engagement commença par deux cents coups de sabre administrés par le petit et le grand matelot alternativement, sans résultat décisif ; seulement, le petit fut abattu sur un genou ; mais cela lui était bien égal, il ne s’en défendait pas moins vaillamment, dans cette position, de la main gauche, et se battait