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rance, ils marchaient en avant, vaillants et forts comme des lions.

Le jour s’avance : toutes ces couleurs éclatantes s’adoucissent et prennent une teinte plus paisible, semblable aux espérances de la jeunesse tempérées par le progrès du temps, ou bien encore à ces traits juvéniles qui finissent par se fondre dans le calme et la sérénité de l’âge. Mais, pour être déjà sur leur déclin, elles n’en étaient guère moins belles que dans leur primeur, car la nature a doté chaque âge et chaque saison de ses beautés particulières. Et du matin jusqu’au soir, du berceau jusqu’à la tombe, ce n’est qu’une suite de changements si doux et si faciles qu’on en remarque à peine la marche rapide.

Enfin ils arrivèrent à Godalming ; ils firent prix pour deux lits modestes, et dormirent comme il faut. Le lendemain, dès le matin, ils étaient debout, pas avant le soleil cependant. Et puis en route ! On n’était pas tout à fait frais et dispos comme la veille au départ, mais il restait encore assez d’espérance et d’entrain pour défier gaiement la fatigue.

La journée était plus forte que la dernière : il y avait des côtes longues et pénibles à gravir ; et les voyages, c’est comme la vie ; il y a des hauts et des bas, mais on a toujours bien plus de peine à monter qu’à descendre. Ils continuèrent donc avec persévérance, sans se laisser décourager, et la persévérance n’a pas encore trouvé en face d’elle de montagne si haute qu’elle n’en ait vu la fin.

Arrivés au bord du bol de Punch du Diable, Smike suivit avec un intérêt avide la lecture que fit Nicolas d’une inscription gravée là sur la pierre, élevée dans ce lieu sauvage, en souvenir d’un assassinat qui y avait été commis la nuit. Le gazon sur lequel ils étaient arrêtés avait donc été teint du sang de la victime ; il avait coulé goutte à goutte dans le gouffre dont la forme a fait donner à ce lieu le nom qu’il porte à présent. Le bol du Diable, se disait Nicolas penché sur l’abîme, n’a jamais reçu liqueur plus digne de Satan.

Ils reprirent leur route, toujours avec la même résolution, et finirent par se trouver dans une large et vaste étendue de dunes, entremêlées de petites collines et de petites plaines, pour varier de temps en temps l’uniformité de leur surface verdoyante. Ici s’élançait presque perpendiculairement vers le ciel une hauteur si abrupte, que les moutons et les chèvres avaient peine à s’y tenir pour brouter l’herbe de ses flancs. Là un tertre de verdure dont la pente insensible s’effilait si délicatement, qu’il était bien difficile d’en reconnaître les limites. Des coteaux arrondis les uns