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chait quelquefois vers vous, pour baiser vos lèvres, en vous appelant mon enfant ?

— Non, dit la pauvre créature secouant la tête ; non, jamais.

— Ni d’autre maison que celle du Yorkshire ?

— Non, répondit Smike d’un air triste. Une chambre !… Je me rappelle que je couchais dans une chambre, une grande chambre isolée au haut de la maison, où il y avait une trappe dans le plafond. Combien de fois je me suis caché la tête dans les draps pour ne pas la voir, cette vilaine trappe qui me causait tant de frayeurs ! pensez, un enfant tout petit ! tout seul, la nuit. Je me demandais toujours avec inquiétude ce qu’il pouvait y avoir derrière. Il y avait aussi une horloge, dans un coin. Je me rappelle cela, par exemple : je ne l’ai jamais oublié. Souvent, quand je fais de mauvais rêves, la chambre me revient toujours présente. J’y vois des choses et des gens que je n’y ai jamais vus alors, mais la chambre est toujours la même. Pour cela, ça ne change pas.

— Voulez-vous maintenant me laisser prendre le paquet ? demanda Nicolas, changeant brusquement de conversation.

— Non, non. Allons, continuons notre route. »

En même temps, il hâtait le pas, préoccupé de l’idée qu’ils avaient perdu du temps à rester en place, pendant tout le cours de ce dialogue. Nicolas l’observait de près, et enregistrait dans sa mémoire chacun des mots qu’il avait prononcés.

Il était, en ce moment, une heure de l’après-midi, et, quoiqu’une vapeur épaisse enveloppât encore la Cité qu’ils avaient laissée derrière eux, comme si le souffle de ses habitants avides planait sur leurs spéculations intéressées, et montrait plus de sympathie pour rester dans cette région du calcul et du gain que pour remonter dans les régions plus tranquilles de l’air, cependant la campagne au contraire était claire et radieuse. Parfois seulement, dans quelques vallons, ils rencontraient des vapeurs arriérées que le soleil n’avait pas encore forcées dans leurs dernières retraites : mais elles étaient bientôt passées, et, quand ils gravissaient les collines voisines, ils prenaient plaisir à voir au-dessous d’eux cette masse brumeuse s’ébranler lourdement sous la bénigne influence du jour naissant. Un brave soleil, un vaste, un franc soleil, illuminait les verts pâturages et ridait la surface de l’eau comme sous le souffle d’une brise d’été, tout en laissant aux voyageurs la fraîcheur bienfaisante de cette saison précoce de l’année. La terre semblait rebondir sous leurs pieds ; les clochettes des agneaux étaient pour leurs oreilles une douce musique ; égayés par la marche, stimulés par l’espé-