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yeux étincelaient à l’idée de mettre en œuvre ses talents, je savais traire une vache, et panser un cheval aussi bien que personne.

— Ah ! dit gravement Nicolas, j’ai bien peur que l’on n’entretienne pas beaucoup d’animaux de ce genre à bord d’un vaisseau, et, si par hasard il s’y trouve quelque cheval, je ne pense pas qu’on se donne grand mal à l’étriller. Mais vous pourrez apprendre à faire quelque autre chose, vous sentez. Avec de la bonne volonté, on va loin.

— Et j’en ai beaucoup, dit Smike ranimé par l’espérance.

— Dieu sait que vous en savez ; à la rigueur, vous n’en trouveriez pas l’emploi, que je travaillerai pour deux, ou ce sera donc bien difficile.

— Allons-nous faire toute la route aujourd’hui ? demanda Smike après un moment de silence.

— Vos jambes ont beau avoir de la bonne volonté, dit Nicolas en souriant gaiement, ce serait les mettre à une épreuve trop difficile. Non. J’ai vu dans une carte qu’on m’avait prêtée à Londres, que Godalming en est à trente et quelques milles, ce sera là notre couchée. Demain nous nous remettrons en route, car mes moyens ne nous permettent pas de perdre de temps. Laissez-moi vous soulager de ce paquet : allons ! à mon tour.

— Non, non, répondit Smike, faisant quelques pas en arrière ; ne me demandez pas cela.

— Pourquoi pas ?

— Laissez-moi faire au moins quelque chose pour vous ; je ne vous montrerai jamais autant de reconnaissance que je vous en dois. Vous ne pouvez pas vous faire une idée de tous les projets que je repasse nuit et jour dans ma tête pour trouver moyen de vous faire plaisir.

— Vous êtes un nigaud ; vous n’avez pas besoin de me dire cela ; ne le sais-je pas bien ? Il faudrait donc que j’eusse les yeux crevés ou l’esprit obtus pour ne pas le voir. Mais, pendant que j’y pense, puisque nous sommes seuls, ajouta-t-il en le regardant fixement entre les deux yeux, répondez-moi à cette question : avez-vous une bonne mémoire ?

— Je ne sais pas, dit Smike en secouant la tête d’un air triste, je crois qu’elle était bonne autrefois, mais elle est partie aussi maintenant, je n’en ai plus.

— Qu’est-ce qui vous fait dire que vous en aviez autrefois ? lui demanda Nicolas, saisissant au vol cette indication qui pouvait le mettre sur la voie pour éclaircir ce qu’il voulait savoir.

— Parce que, dans mon enfance, je me rappelais bien des