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se hâtaient de regagner bien vite leurs lits à tâtons, et de s’enfoncer le nez dans leurs couvertures pour se rendormir.

Nicolas n’avait pas attendu que tous ces avant-coureurs du jour fussent réveillés dans la vie active de Londres pour se diriger vers la Cité, et pour aller se planter sous les fenêtres de la maison qu’habitait sa mère : maison triste et sombre pour tout le monde, mais pour lui pleine de lumière et de vie. Car là du moins il y avait dans ces vieilles murailles un cœur qu’il savait prêt à battre comme le sien du même sang qui coulait dans ses veines, au seul mot d’insulte ou de déshonneur.

C’était le cœur de sa sœur. Aussi traversa-t-il la rue pour lever les yeux vers la fenêtre de la chambre où il savait qu’elle reposait. Elle n’était point ouverte ni éclairée. « Pauvre fille, pensa-t-il, elle ne se doute guère que je suis à l’épier ici. »

Il regarda de nouveau, et se sentit presque contrarié que Catherine ne fût pas là pour échanger avec lui quelques mots d’adieu. Mais ce ne fut qu’un éclair, il s’en voulut après. « Bon Dieu, dit-il, que je suis enfant !

« Ne vaut-il pas mieux, continua-t-il après avoir fait encore quelques pas, pour revenir ensuite à la même place, que les choses se passent comme cela ? La première fois que je les ai quittées et que j’aurais pu leur dire au revoir plus de mille fois, si j’avais voulu, je leur ai épargné la douleur d’une séparation ; pourquoi ne pas faire de même aujourd’hui ? » Pendant qu’il se raisonnait de la sorte, il s’imagina voir remuer le rideau, et se persuada que Catherine était là, à la fenêtre ; puis, par un de ces retours étranges que nous éprouvons tous dans nos sentiments, il se retira involontairement à l’écart dans une allée pour qu’elle ne pût l’apercevoir. Il rit lui-même de sa faiblesse, appela sur elle la bénédiction du ciel, et se remit en marche d’un pas plus dégagé.

Smike l’attendait avec impatience, quand il entra dans son ancien logement, ainsi que Newman, qui avait dépensé un jour de revenu à leur payer un flacon de grog au lait et au rhum pour les réconforter contre les fatigues du voyage. Les paquets étaient ficelés : Smike n’eut plus qu’à les charger sur son épaule, et les voilà partis tous trois de compagnie. Car Newman Noggs avait insisté, la veille, pour les conduire aussi loin qu’il pourrait.

« Par où ? demanda Newman d’un air soucieux.

— Par Kingston d’abord, répondit Nicolas.

— Et puis après ? Pourquoi ne voulez-vous pas me dire où vous allez ?

— Parce que je n’en sais en vérité rien moi-même, mon bon