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CHAPITRE XXII.

Nicolas, accompagné de Smike, va chercher fortune. Il fait la rencontre de M. Vincent Crummles, dont on peut voir ici la profession.

Le capital dont Nicolas se trouvait légitime propriétaire, soit en biens propres, acquêts, argent réversible, reliquat et espérances, après avoir payé son loyer et soldé le brocanteur qui lui avait loué son misérable mobilier, montait, à un sou près, à la somme totale de vingt-cinq francs. Cela ne l’empêcha pas de saluer de bon cœur l’aurore du jour où il avait résolu de quitter Londres, et de sauter à bas de son lit avec cette vivacité d’humeur et cette résolution qui sont heureusement le partage de la jeunesse, et l’aident à supporter la vie, sans quoi on ne verrait pas beaucoup de vieillards obstruer les chemins.

C’était par une matinée de printemps, froide, âpre, brumeuse. On voyait çà et là voltiger dans les rues quelques ombres vaporeuses à travers le brouillard ; ou bien se dessiner la silhouette grossière d’un fiacre retournant au logis, et, à mesure qu’il approchait, il se dandinait, versant à droite et à gauche la petite croûte de gelée blanche qui avait blanchi son impériale, puis il se perdait de nouveau dans les nuages. On entendait par intervalles le pauvre ramoneur traîner la savate, pousser son cri perçant, pendant qu’il s’en allait, tout grelottant, commencer de bonne heure sa journée : ou bien c’était le pas pesant du veilleur officiel qui se promenait lentement de long en large, maudissant les heures paresseuses qui le séparaient encore du sommeil ; ou le roulement des lourdes charrettes et des wagons ; le trot des voitures plus légères qui portaient aux différents marchés de la ville des marchands ou des chalands ; le tapage inutile des coups de marteau frappés à la porte de dormeurs obstinés. Tous ces bruits venaient frapper l’oreille de temps en temps, mais ils semblaient pourtant emmitouflés dans le brouillard, qui en amortissait la force et rendait les sons presque aussi insensibles à l’oreille que les objets étaient peu sensibles à la vue. À mesure que le jour paraissait, l’ombre inerte semblait s’épaissir à son tour, et ceux qui avaient eu le courage de se lever pour aller regarder dans la rue, derrière les rideaux de leur fenêtre,