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son couteau, d’autant plus qu’il n’était pas fâché d’en être débarrassé : c’est très gênant et même dangereux, un couteau de table dans une poche. Bref, il finit par se laisser entraîner par sa belle et tendre moitié.

Au bout de deux ou trois heures, les demoiselles de l’atelier furent remerciées jusqu’à nouvel ordre, et, deux jours après, le nom de Mantalini parut sur la liste officielle des déconfitures. Le même jour, Mlle Nickleby reçut avis par la poste que la maison serait désormais au nom de Mlle Knag, qui n’avait plus besoin de ses services. En recevant cette nouvelle, Mme Nickleby déclara qu’il y avait longtemps qu’elle s’y attendait, et cita plusieurs circonstances dont personne ne se souvenait qu’elle, où elle avait dû prophétiser la chose avec exactitude.

« Et, je le répète, ajouta-t-elle (quoique ce fût bien, comme on le pense, la première fois qu’elle en eût parlé), je le répète, l’état de modiste et de couturière est bien le dernier, ma fille, auquel vous eussiez dû jamais penser. Je ne vous en fais pas un reproche, ma chère enfant, mais encore dois-je vous répéter que si vous aviez consulté votre mère…

— Bien, maman, bien, lui dit doucement sa fille, qu’est-ce que vous me conseillez maintenant ?

— Ce que je vous conseille ! cria Mme Nickleby ; ne tombe-t-il pas sous le sens que, de toutes les préoccupations faites pour une personne de votre rang, celle de demoiselle de compagnie chez une dame aimable est justement la situation à laquelle vous êtes préparée par votre éducation, vos manières, votre extérieur, et tout enfin ? N’avez-vous jamais entendu parler à votre pauvre cher papa de la fille de la vieille dame qui était dans la même pension bourgeoise que lui, quand il était garçon ?… Comment donc s’appelait-elle déjà ? Je sais que cela commençait par un B et finissait par un G : n’était-ce pas Waters, ou… non, ce ne pouvait être cela. Mais enfin, n’importe le nom ; ne vous souvenez-vous pas que cette demoiselle entra comme dame de compagnie chez une dame mariée qui mourut peu de temps après ? qu’elle épousa le mari, et qu’elle eut même un des plus jolis petits garçons que les accoucheurs eussent jamais vus venir au monde, le tout dans l’espace de dix-huit mois ? »

Catherine se doutait bien que ce torrent de souvenirs opportuns devait être occasionné par quelque oasis nouvelle, réelle ou imaginaire, dont sa mère avait fait la découverte dans le monde particulier des dames de compagnie. Elle attendit donc avec beaucoup de patience qu’elle eût épuisé toutes ses réminiscences et ses anecdotes, plus ou moins applicables au sujet,