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vacité et se mordant si bien les lèvres, qu’elle en perdit, pour l’instant, les rares facultés dont elle était douée pour entretenir la conversation.

« Eh bien ! miss Nickleby, dit Mme Mantalini en voyant Catherine, êtes-vous tout à fait remise, mon enfant ?

— Je vous remercie, madame, je suis beaucoup mieux.

— Je voudrais bien en dire autant, reprit Mme Mantalini en s’asseyant d’un air très abattu.

— Seriez-vous malade ? demanda Catherine. J’en serais bien désolée.

— Par précisément, mais tourmentée, mon enfant, très tourmentée.

— Je suis encore plus désolée de ce que vous me dites là, dit Catherine avec douceur. Les maux du corps sont moins pénibles que ceux de l’âme.

— Ah ! ce n’est rien que de le dire, il faut en souffrir pour le savoir, dit Mme Mantalini en se frottant avec rage le bout du nez. Allons, mon enfant, à l’ouvrage, rangez-moi bien tout cela. »

Pendant que Catherine se demandait en elle-même avec étonnement ce que signifiaient ces symptômes de contrariétés nouvelles, M. Mantalini passa par la porte entr’ouverte, d’abord le bout de ses moustaches, puis insensiblement toute la tête, et cria d’une voix tendre :

« L’âme de ma vie est-elle ici ?

— Non, répondit sa femme.

— Comment pourrais-je le croire, quand je la vois d’ici briller dans le salon comme une charmante petite rose dans un diable de pot à fleurs ; son bichon peut-il entrer pour lui parler ?

— Certainement non, répliqua sa femme, vous savez que je ne vous permets jamais d’entrer ici. Passez votre chemin. »

Le bichon, cependant, encouragé par le ton radouci de cette réponse, risqua une désobéissance ; il entra dans le salon, s’avançant sur la pointe du pied jusqu’à Mme Mantalini, en lui envoyant des baisers tout le long du chemin.

« Pourquoi se tourmente-t-il comme cela, ce petit amour ? pourquoi allonge-t-il son petit museau boudeur en forme de casse-noisettes ? dit-il en passant son bras gauche autour de la taille de l’âme de sa vie et en l’attirant du bras droit sur son sein.

— Oh ! je ne peux pas vous souffrir, répliqua sa femme.

— Qui ? moi ? ne pas me souffrir ! s’écria Mantalini. Chansons ! chansons ! c’est impossible. Il n’y a pas une femme en ce monde