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Il fit un pas vers Ralph, qui était resté pendant toute cette entrevue dans la même attitude, sans remuer seulement le bout du doigt.

« Tous vos procédés envers elles, monsieur, dit-il d’une voix à n’en rien laisser entendre aux autres, je saurai les reconnaître comme je dois. Les voilà, je les laisse à votre discrétion ; nous aurons un jour ou l’autre à régler nos comptes : gare à vous, si vous n’êtes pas en règle. »

Ralph ne permit pas même à un muscle de sa face de témoigner qu’il eût entendu un seul mot de cet adieu. Il n’eut pas l’air non plus de s’apercevoir que Nicolas eût fini, et Mme Nickleby venait à peine de se résoudre à retenir son fils de force, si c’était nécessaire, qu’il était déjà parti.

Pendant qu’il arpentait les rues pour regagner son obscur logis, cherchant, pour ainsi dire, à se mettre au pas avec la marche rapide des pensées qui venaient l’assaillir en foule, il sentit s’élever dans son âme quelques doutes et quelques scrupules qui lui donnèrent presque la tentation de retourner sur ses pas ; mais que pouvait-il y gagner ? En supposant qu’après avoir poussé à bout Ralph Nickleby, il fût assez heureux pour obtenir par lui-même quelque petit emploi, sa seule présence au milieu de sa famille ne ferait que rendre, dès à présent, leur condition pire encore, et peut-être compromettre grandement leur sort à venir ; car il venait d’entendre sa mère parler de bontés récentes de son oncle pour Catherine ; et Catherine ne les avait pas niées. « Non, décidément, dit Nicolas ; j’ai fait pour le mieux. »

Mais il n’avait pas fait trois cents pas, que d’autres pensées venaient combattre les premières ; et alors il était décidé à rester ; il enfonçait son chapeau sur ses yeux et s’abandonnait tout entier aux tristes réflexions qui venaient l’assaillir en foule. Ne se sentir coupable d’aucune faute, et cependant se voir entièrement seul dans le monde, séparé des seules personnes qu’il aimât, proscrit comme un criminel ; et cela, lorsqu’il y a six mois il s’était vu entouré de tant de bien-être, lorsque tout le monde portait les yeux sur lui, comme sur le chef futur de la maison ; c’était une épreuve bien affreuse et qu’il n’avait pas méritée. Enfin, c’était toujours une consolation, et le pauvre Nicolas reprenait courage, pour se décourager encore, comme si ces pensées mobiles présentaient tour à tour à son esprit leurs nuances d’ombre et de lumière.

C’est à travers toutes ces alternatives d’espérance et de crainte, que pas un de nous n’a manqué de ressentir dans ses épreuves