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celle de Nicolas, en le voyant ouvrir la porte avec fracas et entrer brusquement dans la chambre.

Ému d’abord d’un sentiment de surprise et peut-être même de frayeur, Ralph se leva de son siège pour reculer de quelques pas, tout abasourdi de cette apparition à laquelle il ne s’attendait guère ; mais le moment d’après, il se tint fixe et immobile, les bras croisés, regardant son neveu d’un air sombre, pendant que Catherine et miss la Creevy se jetaient entre eux deux pour prévenir les actes de violence que pouvait faire craindre l’excitation manifeste de Nicolas.

« Cher Nicolas, lui cria sa sœur en s’attachant à lui ; soyez calme, réfléchissez !

— Réfléchir à quoi, Catherine ? » Et il serrait la main de sa sœur d’une si vive étreinte, dans l’emportement de sa colère, qu’elle avait toutes les peines du monde à ne pas crier. « Mais c’est justement quand j’y réfléchis, quand je pense à tout ce qui s’est passé, qu’il faudrait que je fusse un homme de fer pour ne point me sentir ému devant lui.

— Ou plutôt de bronze, dit Ralph tranquillement, car il n’y a pas de cœur assez dur pour soutenir la honte d’une pareille situation.

— Ah ! grand Dieu ! cria Mme Nickleby, qui m’aurait dit que les choses en viendraient là ?

— Et qui donc parle ici d’un ton à faire croire que je suis coupable et que j’ai déshonoré ma famille ? dit Nicolas regardant autour de lui.

— C’est votre mère, monsieur, dit Ralph en la montrant du doigt.

— Oui, ma mère, dont vous avez empoisonné les oreilles de vos calomnies, en accumulant sur ma tête toutes les insultes, tous les crimes, toutes les infamies, sous prétexte de mériter les remerciements qu’elle vous prodiguait ; vous qui m’avez envoyé vivre dans un repaire où règne, sans contrôle, une cruauté sordide bien digne de vous plaire, où une jeunesse misérable s’étiole dans une corruption précoce, où la vivacité de l’enfance s’éteint déjà sous le poids de l’âge, où elle avorte dans ses espérances et se flétrit dans sa fleur. Oui, le ciel qui m’entend, continua Nicolas se retournant avec sentiment vers sa mère, sait que j’ai vu tout cela : et lui aussi, il le sait.

— Réfutez les calomnies, dit Catherine, et modérez-vous pour qu’on ne tire pas contre vous avantage de votre emportement. Dites-nous toute la vérité, et confondez l’imposture.

— De quoi m’accuse-t-on, ou plutôt de quoi m’accuse-t-il ? dit Nicolas.