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J’ai fait tout ce que j’ai pu… Allons, faisons quelques pas. C’est l’air renfermé de la chambre et la chaleur de ces lampes qui vous ont fait mal. Vous allez vous trouver mieux ; faites seulement le moindre effort.

— Je ferai tout ce que vous voudrez, mais renvoyez-moi chez nous.

— Bon, bon, je vais le faire ; mais commencez par vous remettre. Dans l’état où vous êtes, vous effrayeriez tout le monde, et personne n’en doit rien savoir que vous et moi. À présent quelques pas dans l’autre sens. Là ! vous avez déjà meilleure mine. »

En lui donnant ces encouragements, Ralph faisait avec elle deux ou trois tours dans le salon, et tremblait comme la feuille en la sentant s’appuyer sur son bras.

C’est ainsi que bientôt, quand il jugea prudent de la laisser partir, il la soutint jusqu’au bas de l’escalier, après lui avoir arrangé son châle, et pris toutes sortes de petits soins, probablement pour la première fois de sa vie. Il la reconduisit de même dans le vestibule, sur le pas de la porte, et ne retira sa main qu’après l’avoir mise dans la voiture.

La portière du fiacre, en se fermant rudement, fit tomber de la tête de Catherine son peigne aux pieds de son oncle, et, quand il l’eut ramassé pour le lui rendre, le gaz de la lanterne voisine donnait à plein sur le visage de la pauvre créature. Les boucles de cheveux qui étaient retombées éparses sur son front, les traces de ses pleurs à peine séchés, sa joue brûlante, son regard lugubre, tout ralluma dans le sein du vieillard une foule de souvenirs mal éteints : il crut voir devant lui la figure de défunt son frère ; il reconnaissait dans ses yeux l’expression de ses douleurs enfantines, dont les plus minces détails venaient maintenant assaillir son esprit, aussi frais, aussi vivants que des souvenirs de la veille.

Ralph Nickleby avait beau être à l’épreuve de tous les sentiments fraternels et des devoirs de famille, il avait beau être cuirassé contre toute sympathie pour le chagrin et le malheur ; en regardant sa nièce, il n’en sentit pas moins ses jambes chanceler, et n’en rentra pas moins dans sa maison comme un homme poursuivi par l’apparition d’un esprit de l’autre monde, le monde des tombeaux.