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leur zèle tout particulier à faire honneur au repas. Ces deux messieurs surtout mangeaient de tous les plats, buvaient de toutes les bouteilles avec une capacité et une persévérance véritablement surprenantes. Et, malgré cela, il semblait que leurs travaux passés ne nuisaient en rien à la fraîcheur de leur appétit. Car, en voyant servir le dessert, ils donnèrent avec la même ardeur que s’ils n’avaient fait jusque-là que peloter en attendant partie.

« Ma foi, dit lord Frédéric dégustant son premier verre de porto, si c’est là un dîner d’escompte, je puis bien dire, ou le diable me brûle, que je serais charmé de me faire escompter tous les jours.

— Laissez faire, repartit sir Mulberry Hawk, on ne vous en laissera pas manquer dans l’occasion ; Nickleby vous en dira quelque chose.

— Qu’en dites-vous, Nickleby ? demanda le jeune lord. Est-il vrai que je doive être un jour une de vos bonnes pratiques !

— Cela dépend entièrement des circonstances, milord, répondit Ralph.

— Oui, des circonstances où se trouvera le crédit de Votre Seigneurie, et du produit des courses de chevaux. »

C’était le colonel de la milice, M. Chowser, qui était venu si malheureusement se mêler à la conversation.

Il jeta en même temps un coup d’œil sur MM. Pyke et Pluck, s’attendant bien à les voir rire de sa bonne plaisanterie ; mais il en fut pour ses frais ; ces messieurs, qui n’étaient engagés comme claqueurs qu’au service de M. Mulberry Hawk, gardèrent, au grand désappointement du galant colonel, une gravité de pompes funèbres. Ce n’est pas tout, sir Muberry lui porta le dernier coup. Ne voulant pas autoriser ainsi les gens à chasser sur ses terres, il regarda son adversaire fixement au travers de son verre, comme s’il était étonné de cette hardiesse, et exprima à haute et intelligible voix que c’était prendre des libertés diaboliques. Lord Frédéric ainsi averti, prit son verre à son tour, pour lorgner au travers le téméraire, comme si c’était quelque animal, quelque bête curieuse, montrée par son cornac pour la première fois. On pense bien que MM. Pyke et Pluck dévisagèrent de leur côté l’individu que M. Mulberry dévisageait du sien, en sorte que le pauvre colonel, pour cacher sa confusion, fut réduit à la nécessité de tenir son verre de porto à hauteur de son œil droit, affectant d’en étudier la couleur avec le plus vif intérêt.

Tout ce temps-là, Catherine était restée aussi silencieuse que