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aussi versa en secret des larmes amères qui auraient bien réjoui Mlle Knag jusque dans le fond de l’âme, si elle avait eu le bonheur de les voir.


CHAPITRE XIX.

Description d’un dîner chez M. Ralph Nickleby ; amusements auxquels se livre la société avant, pendant et après.

Tout le reste de la semaine, Mlle Knag ne cessa d’épancher sa rancune et sa bile ; ou plutôt sa colère, loin de diminuer, ne fit que s’accroître d’heure en heure. Bien entendu que l’honnête courroux de ces demoiselles augmentait, au moins en apparence, avec les élans d’indignation de l’excellente vieille fille. Mais les accès en redoublaient chaque fois qu’on appelait Mlle Nickleby au salon. Tout cela n’était pas fait pour rendre la vie agréable et digne d’envie à la pauvre fille. Aussi soupirait-elle après le retour du samedi soir, comme un prisonnier après quelques heures de répit de ses lentes et cruelles tortures. On lui eût donné le triple de la maigre pitance que lui valait son travail de la semaine, qu’elle l’aurait encore trouvée bien chèrement achetée.

Ce soir-là donc, en allant rejoindre, selon son habitude, sa mère au coin de la rue, elle ne fut pas peu surprise de la trouver en conversation avec M. Ralph Nickleby ; mais elle le fut plus encore du sujet de leur entretien et du changement que M. Nickleby montrait dans ses manières et dans le ton radouci de sa voix.

« Ah ! vous voilà, ma chère, dit Ralph, justement nous étions en train de parler de vous.

— Vraiment ! répondit Catherine baissant les yeux, sans savoir pourquoi, devant le regard brillant mais glacial de son oncle.

— Je venais à l’instant même pour vous voir ; je voulais vous prendre avant que vous fussiez sortie, mais votre mère et moi nous nous sommes mis à parler d’affaires de famille, et le temps a filé si vite…

— C’est vrai, n’est-ce pas ? interrompit Mme Nickleby, sans se douter le moins du monde de l’intention railleuse ni du ton caustique de M. Ralph. Sur mon honneur, je n’aurais jamais