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mois, avec le feu de Saint-Antoine au visage, je serai charmée que vous me teniez compagnie. »

Catherine se serait volontiers privée de l’avantage flatteur d’une pareille société ; mais miss Knag, sans attendre sa réponse, après avoir ajusté son chapeau à son entière satisfaction, lui prit le bras d’un air qui témoignait de l’honneur qu’elle était sûre de lui faire ; et elles étaient déjà dans la rue, que miss Nickleby n’avait pu ouvrir encore la bouche.

« Je crains, dit-elle avec hésitation, que maman, que ma mère, je veux dire, ne soit là à m’attendre.

— Vous n’avez que faire, ma chère, dit Mlle Knag avec un sourire de supériorité bienveillante, de vous excuser d’emmener avec vous votre mère ; je suppose que la vieille dame est une honnête personne, et je serai très… hem… très aise de faire connaissance avec elle. »

Comme la pauvre Mme Nickleby était pendant ce temps-là à se geler les pieds et le reste au coin de la rue, Catherine n’eut pas d’autre alternative que de lui faire faire la connaissance de Mlle Knag, qui, singeant les airs de la dernière pratique descendue de son équipage, reçut la présentation avec une condescendance pleine de politesse. Elles partirent donc toutes les trois en se donnant le bras : Mlle Knag au milieu, occupant la place d’honneur avec une aisance tout aimable.

« Il m’a pris un tel caprice pour votre fille, madame Nickleby, que vous ne sauriez le croire, dit Mlle Knag après avoir fait quelques pas dans un silence majestueux.

— Je suis heureuse de vous l’entendre dire, répondit Mme Nickleby, quoique, en vérité, cela ne me surprenne pas de voir Catherine se faire aimer même des personnes qui lui sont étrangères.

— Hem ! cria miss Knag.

— Vous l’aimerez bien plus encore quand vous saurez ce qu’elle vaut, dit Mme Nickleby ; c’est un grand bonheur pour moi, au milieu de toutes mes infortunes, d’avoir une enfant qui ne sait ce que c’est que l’orgueil et la vanité, après une éducation qui pourrait lui servir d’excuse s’il en était autrement. Vous ne savez pas, mademoiselle Knag, ce que c’est que de perdre un époux. »

Comment Mlle Knag aurait-elle su ce que c’est que de perdre un époux ? elle ne savait pas même ce que c’était que d’en attraper un. Aussi répondit-elle avec quelque précipitation : « Bien sûr que je n’en sais rien ! » et ces paroles étaient prononcées d’un air qui voulait dire : « Je voudrais bien voir que j’eusse fait la sottise d’épouser quelqu’un ! Fi donc ! pas si bête.