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CHAPITRE XVIII.

Mlle Knag, après avoir raffolé de Catherine Nickleby, pendant trois jours entiers, lui voue décidément une haine éternelle. Raisons qui déterminent Mlle Knag à prendre cette résolution.

Il ne suffit pas, pour inspirer la pitié, qu’une vie soit pleine de tourments, de fatigues et de souffrances. C’est assez pour ceux qui la subissent ; mais ce n’est pas assez pour exciter l’émotion et l’intérêt de ces personnes qui, sans manquer précisément de sensibilité, savent ménager leur compassion, et ne l’accordent qu’à bonne enseigne. Il leur faut de puissants stimulants ; il faut souvent à ces disciples d’une religion de charité presque autant d’excitation pour l’exercice de leur vocation qu’il en faut aux disciples de la doctrine d’Épicure pour renouveler leur goût blasé par le plaisir. De là vient cette sympathie maladive, cette compassion nerveuse que l’on dépense chaque jour à des objets que l’on va chercher bien loin, lorsque l’on n’a constamment à sa porte et sous ses yeux que trop d’occasions d’exercer les même vertus sans qu’il n’en coûtât rien à la santé. Bref, il faut du romanesque à la charité comme au nouvelliste ou au dramaturge. Donnez-moi un filou en blouse, il n’y a personne, parmi les gens bien élevés, qui voulût faire la moindre attention à ce personnage vulgaire. Mais mettez-lui sur le dos une veste de velours vert, sur la tête un chapeau conique : changez aussi le théâtre de son industrie. Transportez-le de la foule d’un carrefour sur une route dans les montagnes, et vous pourrez vous flatter d’en avoir fait l’âme et la source de l’intérêt le plus poétique. Il en est de même de cette grande vertu cardinale, la plus grande de toutes, celle qui, bien exercée, bien cultivée, facilite, que dis-je ? comprend toutes les autres. Il lui faut aussi son roman, et moins il y a dans ce roman de vie réelle, de travail, de luttes, de peines journalières, mieux il vaut.

La vie à laquelle la pauvre Catherine Nickleby avait été réduite par le cours des circonstances développées dans ce récit était une vie douloureuse, mais, comme nous aurions peur que les détails d’une existence triste, insalubre, renfermée, fatigante, ne parussent pas présenter assez d’intérêt à la masse