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neur était tout entier pour ceux qui s’avilissaient jusqu’à se faire les esclaves soumis de leurs passions et de leurs caprices, mais elle était encore trop jeune pour accepter de pareilles consolations, et elle se sentait blessée dans ses idées d’honnêteté. Serait-il vrai que, si les gens du commun s’élèvent quelquefois, comme on s’en plaint, au-dessus de leur position, cela vient souvent de ce que les gens comme il faut s’abaissent au-dessous de la leur ?

Le temps se passa à des scènes ou à des travaux du même genre jusqu’à neuf heures du soir. C’est l’heure où Catherine, harassée et découragée de tous les événements de sa journée, quitta volontiers sa prison de travail pour aller rejoindre sa mère au coin de la rue et retourner avec elle au logis, d’autant plus triste qu’il lui fallut dissimuler ses véritables sentiments, bien plus, feindre de partager toutes les heureuses visions de sa compagne de voyage.

« Quel bonheur, Catherine ! disait Mme Nickleby, je n’ai fait qu’y penser toute la journée. Quelle chose délicieuse ce serait pour Mme Mantalini de vous prendre pour son associée ! Et ce serait tout naturel, vous comprenez. Sans aller plus loin, votre pauvre papa n’avait-il pas un cousin dont la belle-sœur, une demoiselle Browndock, devint l’associée d’une maîtresse de pension de Hammer-Smith et fit fortune en un rien de temps ? À propos de cela, je ne me rappelle pas bien si cette demoiselle Browndock n’était pas la même qui a gagné à la loterie le lot de deux cent cinquante mille francs, mais je crois bien que c’est elle. Oui, maintenant que j’y pense, c’est bien elle, j’en suis sûre. Mantalini et Nickleby, comme cela sonnerait bien à l’oreille ! Et pour peu que Nicolas eût aussi de la chance, on pourrait voir le docteur Nickleby, principal du collège de Westminster, demeurer dans la même rue.

— Ce cher Nicolas ! s’écria Catherine, tirant de son sac la lettre que son frère lui avait écrite de Dotheboys-Hall. Ah ! maman, au milieu de tous nos malheurs, je suis bien heureuse de savoir qu’il se porte bien, et de lui voir l’esprit si gai et si satisfait dans ses lettres. Quand je pense à la triste situation qui peut nous attendre, je me console en me disant que lui au moins il est heureux et content. »

Pauvre Catherine ! elle ne se doutait guère combien cette consolation était peu solide, et du peu de temps qu’elle avait encore à garder une telle illusion.