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« Rien qu’un ? répondit la bourgeoise. Une douzaine, si vous voulez. En avez-vous, Tom ?

— Je crois que oui, » répondit le scribe.

Et en même temps il clignait de l’œil du côté de Nicolas, avec une familiarité qu’il supposait sans doute très flatteuse pour celui qu’il honorait de ses avances, mais qui n’excita chez Nicolas qu’ingratitude et dégoût.

Après avoir consulté le livre, on découvrit que la douzaine de secrétariats vacants se réduisaient à un, chez M. Gregsbury, l’illustre membre du Parlement, demeurant cité Manchester, à Westminster ; il voulait un jeune homme pour mettre en ordre ses papiers et sa correspondance : Nicolas était justement l’affaire de M. Gregsbury.

« Je ne connais pas bien les honoraires, parce qu’il préfère s’arranger directement avec la personne, dit la grosse dame ; mais je suppose qu’ils ne doivent pas être mauvais, puisque c’est un membre du Parlement. »

Avec son peu d’expérience du monde, Nicolas ne comprit pas bien la force de ce raisonnement, et ne trouva pas la conclusion tout à fait rigoureuse, mais, sans vouloir se donner la peine d’élever là-dessus une discussion, il prit l’adresse et se décida à aller trouver M. Gregsbury, sans délai.

« Je ne sais pas le numéro, dit Tom, mais la cité Manchester n’est pas bien grande. Au pis aller, vous n’en aurez pas pour longtemps à frapper à droite et à gauche à toutes les portes jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé. Dites donc ! quel joli brin de fille, hein ?

— Quelle fille ? demanda Nicolas d’un air sérieux.

— Bon ! bon ! nous savons bien. Une jolie fille, hein ? lui dit Tom à l’oreille, fermant un œil et retroussant en l’air la pointe de son menton. Vous ne l’avez donc pas vue, hein ? Vous voudriez bien être à ma place pour la recevoir demain matin. »

Nicolas regarda le hideux commis, comme s’il avait eu un moment l’intention de lui frotter les oreilles avec son registre, pour lui apprendre à se montrer ainsi l’admirateur de la demoiselle ; mais il se retint et se contenta de prendre un air hautain et de sortir à grands pas du bureau. Il oubliait, dans son indignation, les lois de l’ancienne chevalerie, qui faisaient à tout bon chevalier un devoir impérieux d’entendre l’éloge de la dame de leurs pensées, et lui imposaient même l’obligation d’aller errer dans tout l’univers, cassant la tête à tous les personnages positifs et prosaïques qui refusaient d’élever jusqu’au ciel des demoiselles qu’ils n’avaient jamais eu le bonheur de voir et dont