Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouveau-né des Kenwigs était en ce moment enchâssé dans un étroit cabinet. Au premier bruit, Mme Kenwigs convaincue qu’un chat sauvage était allé y sucer l’âme et le souffle de l’enfant, pendant que la petite bonne était endormie, s’élança vers la porte en se tordant les mains, en poussant d’affreux gémissements ; jugez de la consternation et de la confusion de toute la compagnie.

« Monsieur Kenwigs, allez voir ce que c’est : dépêchez-vous, cria la sœur, s’attachant à Mme Kenwigs pour l’arrêter de force dans ses élans de tendresse maternelle ; mais ma chère, ne vous démenez pas si fort, ou je serai obligée de vous lâcher.

— Mon bébé ! mon chéri, chéri, chéri, chéri bébé, cria Mme Kenwigs en montant toujours d’une note à chaque chéri, mon doux trésor, mon innocent petit Lillyvick, laissez-moi aller le voir, laissez-moi… al-al-al-aller. »

Pendant l’éjaculation de ces cris frénétiques, joints aux pleurs et aux lamentations des quatre petites filles, M. Kenwigs monta quatre à quatre l’escalier. Au moment où il arrivait à la porte de la chambre d’où partait tout le bruit, il se trouva en face de Nicolas qui portait l’enfant dans ses bras et sortait avec une telle violence, qu’il fit dégringoler six marches au père infortuné jusqu’au palier voisin, où M. Kenwigs se remit sur ses pieds sans avoir eu seulement le temps d’ouvrir la bouche pour demander ce qu’il y avait.

« Rassurez-vous, cria Nicolas déjà descendu, le voici : il n’y a plus rien, c’est fini, allons, remettez-vous, il n’y a pas eu de mal. » Et, en même temps qu’il tirait tout le monde d’inquiétude par ses paroles, il rendait à Mme Kenwigs l’enfant que, dans sa précipitation, il avait emporté sens dessus dessous. Puis il courut assister M. Kenwigs qui se frottait la tête de toutes ses forces et n’était pas encore bien remis de sa chute.

Rassurés par cette heureuse nouvelle, la compagnie commença à se remettre aussi de sa frayeur, qui avait produit sur quelques-uns d’entre eux les plus singuliers effets et donné lieu à des méprises étranges. Ainsi l’ami célibataire avait pendant longtemps tenu dans ses bras la sœur de Mme Kenwigs, croyant sans doute soutenir Mme Kenwigs elle-même, et on avait vu, mais bien vu, M. Lillyvick lui-même dans un tel trouble d’esprit qu’il avait embrassé miss Petowker à plusieurs reprises derrière la porte, avec autant de calme que s’il ne se doutait pas de l’accident.

« Ce n’est rien du tout, dit Nicolas, revenant à Mme Kenwigs. La petite fille qui était là pour veiller l’enfant, fatiguée,