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connaître : puis les liqueurs spiritueuses auxquelles Newman Noggs faisait des yeux pétillants furent rangées avec ordre, flanquées de carafes d’eau froide et d’eau chaude, et la société s’apprêta à les déguster bientôt. M. Lillyvick s’était posté au coin du feu, dans un grand fauteuil, et les quatre petites Kenwigs étaient placées sur une petite banquette, devant la compagnie, à laquelle elles présentaient leurs tresses de cheveux blond-filasse par derrière, la face tournée vers la cheminée. Elles n’y furent pas plutôt assises, que miss Kenwigs, vaincue par sa sensibilité maternelle, laissa tomber sa tête sur l’épaule gauche de M. Kenwigs en versant un ruisseau de larmes. « Elles sont si belles ! dit Mme Kenwigs sanglotant.

— Oh ! bien sûr, dirent toutes les dames, qu’elles sont si belles… certainement, il est bien naturel que vous en ressentiez de l’orgueil, mais contenez-vous, maîtrisez-vous.

— Je ne peux pas… m’en empêcher, je pleure malgré moi. » Les sanglots de Mme Kenwigs redoublaient. « Oh ! elles sont trop belles, elles ne vivront pas ; elles sont trop belles ! »

En s’entendant condamner par ce pressentiment alarmant de leur mère à une mort précoce, à la fleur de leur âge, les quatre petites filles poussèrent un cri affreux, et toutes ensemble glissant leur tête dans le giron maternel, elles ne cessèrent de crier en agitant leur huit queues blond-filasse, Mme Kenwigs, pendant ce temps-là, les pressait alternativement contre son cœur, avec des gestes désespérés et des poses douloureuses, dont miss Petowker aurait pu profiter pour les imiter à la première pantomime de Drury-Lane. Enfin, la tendre mère voulut bien céder aux consolations de la société pour reprendre un état plus calme, et les petites Kenwigs, remises aussi de leur frayeur, furent distribuées dans les rangs de la société, pour éviter que Mme Kenwigs, en les voyant groupées, fût encore attendrie par l’état de leur beauté combinée. Après cette sage précaution, les messieurs et les dames prophétisèrent tout d’une voix : « que ces charmants enfants vivraient de longues, longues années, et que Mme Kenwigs se désolait mal à propos ; » et je suis obligé de convenir qu’ils avaient raison, car les petites filles ne justifiaient pas du tout ces craintes par leur amabilité.

« Aujourd’hui huit ans ! dit M. Kenwigs après un moment de silence. Est-ce possible ? ah ! »

Tous les assistants répétèrent en chœur : « Ah ! » d’abord, et puis ensuite : « Est-ce possible ? »

« J’étais plus jeune qu’aujourd’hui, dit en minaudant Mme Kenwigs.