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ajouta-t-il en lui mettant sa houssine dans la main, qu’il secoua encore une fois avant le départ. Allons, bon courage et bonne chance ! Battu le maître d’école ! voilà bien le meilleur conte que j’ai entendu conter depuis vingt ans. » À ces mots, par une délicatesse qu’on n’aurait pas attendue d’une éducation si imparfaite, il recommença à dessein une longue suite d’éclats de rire en partant, pour éviter d’entendre les remerciements que lui prodiguait Nicolas ; puis il piqua des deux et prit un bon petit galop, se retournant de temps en temps vers Nicolas qui était resté là à le regarder, et l’encourageant gaiement de la main à continuer son chemin.

Nicolas ne quitta pas des yeux le cheval ni le cavalier, jusqu’à ce qu’ils eurent disparu au détour d’une colline lointaine, et puis il se remit en marche.

Il n’alla pas bien loin ce soir-là, car le jour commençait à baisser, et une neige épaisse qui venait de tomber avait rendu la marche difficile et le chemin douteux : on pouvait s’égarer aisément, à moins d’être un piéton consommé. Il passa la nuit dans une chaumière où les voyageurs de la classe la plus modeste trouvaient des lits à bon marché. Le lendemain il se leva de bonne heure, et le soir il arriva à Boroughbridge. Pendant qu’il traversait le bourg, pour trouver à loger la nuit sans grands frais, il aperçut une grange vide à une centaine de pas de la route ; il s’y blottit chaudement dans un coin, étendit ses membres fatigués sur la paille, et ne tarda pas à s’endormir.

Le lendemain matin à son réveil, comme il repassait dans son esprit ses songes de la nuit, qui tous se ressentaient de son séjour à Dotheboys-Hall, il se mit sur son séant, se frotta les yeux, et les fixa avec une émotion croissante sur un objet immobile qui semblait planté quelques pas devant lui.

« C’est étrange, s’écria Nicolas ; serait-ce donc par hasard quelque ombre fugitive des visions qui viennent d’agiter mon sommeil ? Car ce ne peut être une réalité, et cependant je… oui, je suis bien éveillé. Smike ! »

L’ombre bougea, se leva, chancela, et tomba à deux genoux devant lui. C’était bien Smike.

« Pourquoi vous prosternez-vous à mes pieds ? dit Nicolas en se hâtant de le relever.

— Pour aller avec vous, partout, partout, jusqu’au bout du monde, jusqu’à la tombe du cimetière, répondit Smike se cramponnant après sa main. Laissez-moi vous suivre, oh ! laissez-moi. Soyez mon refuge, mon bon ami, car je n’en ai pas d’autre ; emmenez-moi avec vous, je vous en supplie.