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monter au dortoir majestueusement ; non, cependant, sans être piqué au vif de voir que Mlle Squeers, le jeune maître Squeers et la servante elle-même, placés dans un petit coin propice, paraissaient faire leur bonheur de cette scène délicieuse. Il entendait les deux premiers faire à l’envi une foule de remarques édifiantes sur les parvenus présomptueux, et se livrer ensuite à une immense variété d’éclats de rire, dont la plus misérable des servantes prenait aussi sa part. Navré de toutes ces pensées, Nicolas alla se cacher sous ses couvertures, fermement résolu à régler ses comptes avec M. Squeers plus tôt peut-être que l’autre ne l’avait espéré. Quand le jour reparut, Nicolas était à peine éveillé, qu’il entendit le bruit des roues d’une carriole qui s’approchait de la maison ; elle s’arrêta. La voix de Mme Squeers retentit. Dans l’ivresse de son triomphe, elle ordonnait de préparer un petit verre pour quelqu’un, preuve évidente qu’il était arrivé quelque chose d’extraordinaire. Nicolas n’avait pas le courage de regarder par la fenêtre. Cependant il finit par s’y résoudre, et le premier objet qui frappa sa vue ce fut le malheureux Smike, tellement couvert d’éclaboussures, tellement trempé par la pluie, si hagard, si abattu, si découragé, que, s’il ne l’avait pas reconnu à ses vêtements, véritable épouvantail contre les moineaux, il aurait pu douter de son identité.

« Qu’on l’enlève, dit Squeers après avoir littéralement régalé ses yeux en silence de la confusion du coupable. Qu’on me l’apporte ! qu’on me l’apporte !

— Prenez garde, cria Mme Squeers pendant que son mari venait l’aider à descendre. Nous lui avons lié les jambes sous le tablier de la carriole, et nous l’avons attaché bien serré, par derrière, pour l’empêcher de nous fausser encore compagnie. »

Squeers, de ses mains tremblantes de joie, se mit à délier la corde ; quant à Smike, on le porta plus mort que vif dans l’intérieur de la maison, où on l’enferma soigneusement dans une cave, en attendant que M. Squeers choisît son temps pour lui travailler les côtes en présence de la pension réunie.

À la première vue, il pourrait paraître surprenant à quelques personnes que M. et Mme Squeers se fussent donné tant de peine pour reconquérir ainsi un embarras de plus, car ils ne cessaient de s’en plaindre à tout bout de champ ; mais on sera moins étonné si l’on veut bien réfléchir que Smike leur faisait, à lui seul, un service qui n’aurait pas coûté à l’établissement moins de douze ou quinze francs par semaine, s’ils ne l’avaient pas eu.